Le Masque
Donc l'autre jour, Martine me tombe dessus. Plus précisément, elle me coince à la queue du supermarché. Évidemment, j'avais pas où fuir. Résignée, je tape un bout de causette avec elle, il fait beau aujourd'hui, comment va le boulot, etc.
— T'as quel âge déjà, qu'elle me demande à brûle pourpoint, je recule repoussée par un relent de personnalité intrusive.
— J'ai plus de dix-huit ans, je lui dis, ils te laissent pas acheter ta vaporette, tu veux que je la fasse passer en caisse à ta place ?
Elle me montre une crème.
— Tu vois, qu'elle me dit, je suis en train de prendre le tournant, et... ben... Je dérape.
— Ça t'ennuierait de parler clairement ?
— J'ai passé la quarantaine, et j'ai plus la fraîcheur de teint d'avant.
— Ah, en effet. Ça arrive, ces choses-là.
— Mais toi ?
— Je m'entretiens, ya pas de secret. C'est du travail.
— Tu prends quel antirides ?
— Je touche pas à l'antirides, moi. Trop d'adjuvants cancérigènes et trop d'autres choses pires encore.
— Alors ?
— Je fais du 100 % bio à la maison.
— Comment ?
— Le masque !
— Quel masque ?
— Il y en a plusieurs, faut voir ce que tu recherches.
— Je veux l'antirides, le teint lumineux et la peau de pêche.
— Pas de prob', pour l'antirides, il te faut de l'hydratation et du collagène. Question hydratation, tu prends le concombre, tu le tranches finement et tu te fais tout le visage. Pas que les yeux, note bien, tout le visage plastroné de rondelles de concombre. Sinon, tu aurais l'œil vif, mais la lèvre pendante.
— C'est noté, tout le visage. Donc du concombre bio ?
— Non, justement, c'est là l'astuce. Tu prends du concombre conventionnel, génétiquement modifié, ce qui te permet de booster ton épiderme avec des conservateurs. Tu sais que les conservateurs sont antirides, n'est-ce pas ?
— Heu...
— Mais oui, tu as dû remarquer que les concombres se conservent mieux qu'avant. Pareil pour les cadavres dans les cimetières, gorgés de conservateurs de l'agroalimentaire, il ne se décomposent plus comme jadis.
— Ok. Et après ? Le collagène ?
— Aaah, le collagène... On y vient. La peau de poulet est une source de collagène de premier choix.
— J'en mange pas, parce que tu vois, là, j'ai une zone problématique.
Elle se pince un bourrelet latéral.
— Je te parle pas de bouffe, mais de masque. Et la peau de poulet, après qu'elle a servi en masque, bourrelet ou pas, plus personne veut la manger. Hyper facile à appliquer. Tu prends la peau d'un poulet entier, tu y perces deux trous pour les yeux, et tu appliques sur le visage. Éventuellement, tu masses doucement.
— C'est quand même pas...
— Quoi ?
— Pas très...
— Pas très quoi ?
— C'est hygiénique ?
— Faut choisir, hygiène ou collagène.
— J'hésite.
— Teint lumineux, c'est ça ? Tu veux du teint lumineux. Tu râpes une gousse d'ail dans du jus d'oignon, tu ajoutes une giclée de citron, comme ça, tu cumules l'éclaircisseur de teint, les anti comédons, les anticancérigènes et les antibactériens qui désinfectent après le coup du poulet. Rajoute une tomate, j'ai oublié ce que ça fait, mais ça le fait très bien. Et va pas le boire, c'est un masque, pas la recette du gaspacho.
— Ail et oignon crus ? Et l'odeur ?
— Effet secondaire sans conséquence. Quand tu auras trouvé l'antidote, informe-moi.
— Et puis la peau de pêche ?
— Pas facile. Déjà, arrête de te raser la moustache, pour éviter la peau de kiwi.
— Hmmm.
— Ensuite, il te suffit d'alterner les trois masques, alors la peau de pêche viendra toute seule. Elle découlera des masques, pour ainsi dire.
— Alors c'est comme ça, que toi, tu te maintiens...
— Moi ? Ja-mais ! J'enfile le masque de zorro et je cours à travers le jardin derrière les enfants !
Sourire... Oui, c'est la même Martine. Tu peux faire le masque au chocolat, ça stimule la production de je-sais-pas-quoi du bonheur. Si si, c'est prouvé par je-ne-sais-plus-qui.
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Merci, c'est corrigé. Je ne crois pas l'avoir employé correctement ailleurs, c'est un truc qui ne me rentre pas dans la tête.
Salima SalamDim 28 Juil - 18:18