L’Exposition
Nous étions arrivés au CNIT à 10h. Nous avions commencé à déambuler entre les stands et il y en avait tant que très vite j’ai compris que nous ne pourrions pas les voir tous. C’était frustrant car tout ce que je voyais m’intéressait. Je ne me souviens pas du thème de l’exposition mais je sais qu’il y avait beaucoup de stands dédiés à des pays européens. C’était l’époque où la Yougoslavie existait encore, ainsi que la Roumanie de Ceaucescu. On trouvait des fascicules vantant le tourisme dans des pays de l’Est pleins de couleurs, de fleurs et de soleil. La guerre froide était invisible, en tout cas à mes yeux.
J’étais encore enfant et j’ai été attiré par un jeu qui consistait à faire couler des peintures sur un disque en papier qui tournait assez vite. La force centrifuge envoyait la peinture vers l’extérieur du disque et avec une certaine idée de l’harmonie des couleurs et un peu de chance, on pouvait obtenir un disque joliment coloré. Ma mère m’a acheté le jeu en question (j’y ai joué pendant quelques semaines ou quelques mois.)
Nous avons quitté l’exposition à 17h. Nous nous sommes retrouvés dans des bouchons sans fin, mais nous avions largement de quoi discuter avec tout ce que nous venions de voir, alors les deux heures de route pour rentrer à la maison ne nous ont pas génés. J’avais sur mes genoux la boîte du jeu de peinture et j’étais heureux.
L’Ami
Un jour de septembre nous avons reçu le mari d’une vieille amie de mes parents. Il a mangé avec nous à midi et il est resté pour le café. Il y avait des choses que je ne comprenais pas tout à fait, j’avais l’impression qu’il était parfois question de quelque chose qui devait rester mystérieux, ce qui me rendait très curieux. J’avais hâte qu’il parte pour pouvoir demander à mes parents pourquoi j’avais cette impression de mystère, de secret.
Une fois l’ami parti, j’ai pu poser ma question. Ma mère m’a répondu que le monsieur avait divorcé de Geneviève pour vivre avec un autre monsieur. Je me suis demandé pourquoi il fallait que ça paraisse si mystérieux. Avait-il fait une bêtise ? Mes parents m’ont rassuré : il n’avait fait aucune bêtise, mais c’était juste que beaucoup de gens n’aimaient pas voir deux hommes vivre ensemble. Là, il a fallu que je demande des éclaircissements. « Vivre ensemble », c’est comme nous, on vit ensemble, tous les trois ? J’ai tout de suite senti une hésitation. Ce n’était pas exactement ça. Alors ? Mes parents m’ont expliqué que quand deux personnes vivaient ensemble, ils formaient généralement un couple, comme eux, mes parents. Je voyais. L’ancien mari de Geneviève et l’autre monsieur formaient donc un couple. Ça m’a fait penser à Virginie avec qui j’aurais aimé être en couple.
La Machine à plaquer
Quand la lumière s’est allumée j’ai pu voir distinctement les mécanismes de la machine à plaquer. Celle-ci était relativement silencieuse la plupart du temps, mais faisait un grand blam ! au moment où je m’y attendais le moins, et pour une raison que je ne m’expliquais pas. Je n’entendais aucune régularité dans ce bruit récurrent. Lorsque le contremaître est arrivé je lui ai tout de suite dit que quelque chose n’allait pas, à mon avis, avec la machine. « Quelle machine ? ». J’étais sur le point de lui demander s’il se foutait de moi ou quoi, mais la lumière s’est éteinte et le contremaître a disparu et la machine a plaquer aussi et le grand blam aussi et je crois que j’ai bifurqué vers ailleurs.
Ailleurs
Bjiterfea Jokgugvse Gyt
Varsee Bû’ju
Jhuitiv Geddaze
Beruit’ Mouygger
Hillfes
Maak
Retour
Je me souviens du béguin que j’avais pour Virginie lorsque j’étais à l’école primaire. Une éternité plus tard, c’est Pascale qui me rendait fou au lycée. J’avais une trouille verte de l’approcher, je pouvais encore moins lui adresser la parole, je ne pouvais qu’être dans la contemplation de loin. Elle était d’une beauté simple et naturelle. Elle était discrète. Lorsque Philippe, mon copain de tous les jours, lui a fait savoir que j’étais amoureux d’elle, j’ai bien été obligé de l’affronter.
Je suis allé lui dire que j’avais envie – c’était l’expression de l’époque – de « sortir » avec elle. À ma grande surprise, elle a accepté. La suite n’a pas été heureuse. Au bout de cinq jours, j’ai voulu l’embrasser et ça l’a choquée : elle s’est mise à pleurer, comme tétanisée. Je n’ai pas su la consoler et nous nous sommes séparés comme cela. Mon retour à la maison a été si triste que j’ai fini par pleurer moi aussi. Il n’y a pas grand-chose à dire sur le chagrin d’amour d’un gamin de quatorze ans. Celui de Pascale a du être plus dur.
Enclumes
C’était le temps du monopole de la SNCF : les voitures étaient inconfortables et bruyantes.
La première fois que j’ai pris un train, j’avais dix ans. J’ai été surpris par les cahots incessants et le boucan des roues, avec ce bruit régulier et typique du passage d’un rail au suivant. Le compartiment m’a semblé être une idée amusante : c’était une cabane dans laquelle huit ou dix personnes faisaient le même voyage ensemble.
Un bonhomme est passé dans le couloir à plusieurs reprises avec un chariot. Il vendait des sandwiches et peut-être aussi des boissons, je ne m’en souviens plus.
J’ai dormi et puis nous sommes arrivés et en descendant du train, je ne savais pas que je n’en reprendrais un que longtemps après, cinq ou six ans. C’était donc mon premier train et ce qui m’a le plus étonné, c’est d’avoir pu dormir bousculé comme je l’avais été et bercé par ce boucan. J’ai dû rêver d’enclumes.
Les Autres
Tout à l’heure j’ai croisé dans la rue un homme d’à peu près mon âge. Son visage bien rasé, ses cheveux rares mais peignés, ses vêtements classiques et neutres m’ont dit qu’il était sérieux. Comme un adulte. Comme mon père l’avait été. Je repense maintenant à cet homme et je réalise qu’il m’a rajeuni, ne serait-ce que pour moi-même. Je me suis senti aussi jeune que quand je reprochais à mon père d’être trop sérieux.
Le cliché s’est donc confirmé à un coin de rues : on existe à travers les autres.
Le Gouffre
Ce soir-là j’étais particulièrement angoissé. Mes pensées sombres contrastaient avec la blancheur de mes nerfs. J’ai eu peur de faire un pas lorsque j’ai imaginé que devant moi pouvait m’attendre la mort : un grand vide obscur, pour ne pas dire noir, dans lequel j’allais tomber, être englouti dans la seconde qui venait. La seconde est passée mais la même idée demeurait : ce gouffre de la mort auquel je ne pourrais pas échapper s’il était devant moi. Ne surviendrait-elle pas un jour ? Pourquoi pas ce soir ? Là, maintenant ? La peur était tellement intense que je ne pouvais pas faire un pas. Alors je n’ai pas bougé et je l’ai attendue. Elle n’est pas venue. Rien n’est venu. Il ne s’est rien passé. L’angoisse est partie, la soirée a repris son cours et je me suis assis sur le canapé pour souffler tout mon soulagement. Quelqu’un qui m’aurait vu pendant les quelques minutes qui venaient de s’écouler n’aurait pas pu imaginer ce que j’avais « vécu » de l’intérieur. Ça me revient parfois quand je vois une personne un peu pensive.
Jazz-rock
Il y manque la littérature, bien sûr, mais il y a la lecture. C’est un peu la différence qu’il y a entre le jazz (ou plutôt la plupart de ses formes) et le rock : le jazz se joue tandis que le rock s’écoute. Je ne veux pas dire que ma prose est forcément agréable à lire, mais que j’ai ce sentiment qu’en littérature on reconnaît un talent, un style, un auteur, c’est-à-dire une écriture, alors que j’essaie juste de proposer un moment de lecture sans essayer d’avoir ou être une plume reconnaissable.
Un détail m'a dérangée, mais je ne sais pas encore comment le justifier. C'est l'emploi des temps, en particulier les deux premiers verbes, de L'exposition. Il me semble que vous évoquez un évènement proche, jusqu'à ce que je comprenne que c'est un souvenir de lointaine enfance.
J'aurais mis "étions arrivés", "avions déambulé", mais cela déséquilibrerait je crois le reste des temps du texte.
Je vais réfléchir à ça et je repasse si j'ai une réponse à mon problème.
Il est d'usage de mettre une majuscule au premier nom d'un titre, s'il est précédé d'un article défini. Cela vous ferait :
S'il y a des adjectifs entre les deux, ils prennent une majuscule dans la foulée, ex : La Grande Exposition.
Mais si l'adjectif est placé après, il reste en minuscule, ex : L'Exposition universelle.
Si vous avez un article indéfini, pas de majuscule, ex : Une exposition.
Et pour unr dichotomie, les deux noms prennent la majuscule, ex : Le Rouge et le Noir.
Thierry Lazert aime ce message
Salima SalamVen 15 Nov - 19:00