Des petits détails, au début : on faisait pas attention. Moins de matches à la télé, moins de magasins ouverts, moins de voitures, mais tout est venu progressivement. Même les panneaux publicitaires se sont retrouvés les uns après les autres abandonnés. Des fois on en parlait, et chacun savait bien qu’il était censé être heureux d’avoir trouvé une vie moins envahie par le superflu et la logique du fric, mais la vérité c’est que chacun se faisait chier.
Moi qui aimais lire, j’ai bien vu qu’il y avait de moins en moins de livres dans les librairies, et même que l’une d’elles avait fermé, rien que ça ! Je me suis dit alors que le malheur des uns faisant le bonheur des autres, c’était peut-être le moment de tenter ma chance. Je veux dire en tant qu’écrivain. Moins d’offre etc. Et donc je me suis mis à écrire beaucoup. Mais l’ennui ambiant, je m’en suis rendu compte, a vite fait d’endormir ma plume. Moi qui m’étais cru une imagination inépuisable, je me faisais l’effet d’un élève de 5ème qui doit rendre une rédaction. Comme c’en était désespérant, je suis revenu à une valeur sûre : la plonge dans un restau. Encore que, là aussi on souffrait de l’ennui généralisé. Les gens s’emmerdaient tellement qu’ils préféraient s’emmerder chez eux. Les rares clients étaient silencieux et regardaient beaucoup leur montre, comme moi.
Les guerres, une à une, s’étaient éteintes, faute d’enthousiasme chez les combattants, et ça c’était une bonne chose. Les chefs d’Etat avaient beau gueuler qu’en face c’étaient des salauds, le cœur y était plus. De toutes façons les journalistes avaient déserté les champs de bataille depuis longtemps déjà : les chaînes d’info payaient plus. D’ailleurs, dans le monde entier, ces chaînes qui avaient arrêté de diffuser du foot, du rugby, du tennis ou du basket, parce que plus personne n’en faisait, s’étaient converties au cricket. C’était simple, tous les moyens techniques étant concentrés sur un seul pays, une île qui plus est.
Car pendant que le monde entier s’était mis à l’arrêt, les Britanniques, eux, ne s’étaient pas endormis. Tout de blanc vêtus, propres sur eux, évoluant nerveusement, rapidement, mais avec gracilité, sur un gazon parfait et vert pomme d’antan, les joueurs faisaient leur possible pour briser l’emmerdement collectif. Le monde se montra alors partagé en deux catégories : ceux qui essayaient de comprendre les règles parce qu’ils trouvaient les costumes jolis, et ceux qui s’en foutaient et qui avaient opté pour l’emmerdement ad vitam æternam, parce que c’était finalement moins fatigant. Entre les deux « camps », aucune animosité, pas de fierté mal placée, juste deux sensibilités différentes mais qui cohabitaient à merveille.
Quand Kévin et Louna appelaient Zoé et Alina pour leur proposer de passer s’ennuyer à la maison, c’était vite vu. Zoé et Alina savaient qu’elles n’avaient rien à perdre, elles se seraient de toutes façons fait chier entre quatre zyeux, alors elles acceptaient avec plaisir.
Bref, la décroissance mondiale entamée en 2040 avait été un succès à bien des égards. Plus de guerres, presque plus de maladies (les populations circulaient moins, donc les virus aussi, et les gens étaient moins stressés, d’où moins de cancers), et comme le cannabis était en vente libre partout, on restait volontiers chez soi, à contempler un match de cricket sans comprendre pourquoi lui part en courant ni où il va, ou à faire un brin de causette, histoire de tuer le temps, en évoquant les guerres d’avant.
toujours plus d'humains sur la planète... Et la décroissance de la population, c'est pour quand ?
Ho ! les viocs ! Vous allez dégager, oui ?... Merde, bientôt 69 ! J'fais partie du lot... euh, faut pas
s'emballer...
Thierry Lazert aime ce message
JihelkaVen 10 Mai - 14:26