Le Bastringue Littéraire
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Le Bastringue LittéraireConnexion

L'Adresse où parler Littérature et para-litté-raturer prose et poésie.

Le Deal du moment : -37%
Promo : radiateur électrique d’appoint ...
Voir le deal
76.99 €

SOUVENIRS DE L'OCCUPATION

power_settings_newSe connecter pour répondre

18052024
SOUVENIRS DE L'OCCUPATION

On n'avait rien à bouffer. Moi Michelle, j'étais J3 coincée entre les J2 et les J4 ; c'était épuisant avant la musique ces rationnements avec des tickets. Pour un quart de beurre un quart de lait... par semaine...
Les Allemands avaient tout pris. Ils avaient réquisitionné les productions françaises, une manne pour eux qui ne bectaient rien depuis 14. En échange ils nous avaient donné leur nourriture...
C'était infect.
Des pommes de terre à cochon, violettes. Leurs nulden (nouilles) aussi étaient violettes. On ignore pourquoi. Et surtout, impossible à faire cuire. Sans gaz le plus clair du temps. Fallait s'y prendre de bonne heure et faire mijoter celles-ci dans l'eau chaude avec un torchon sous le couvercle pour conserver la chaleur. L'effet culinaire en était pâteux. Mais on n'avait pas le choix.
On n'avait plus de café. C'était de l'erzats de café. De l'orge grillée dégueulasse. De la pisse de chat au petit déjeuner.
Pas de sucre. De la saccharine.
Des rutabaggas que je préférais manger crus râpés, parce que cuits ça faisait horriblement mal au ventre.
La vaisselle était vite faite à la fin des repas.
Le pain allemand était comme leur savon, plein de paille et de cailloux.
Bien sûr ma grand-mère, Maman-Ninette, nous apportait parfois des beaux quartiers de Paris, un demi-poulet ou une livre de beurre de baratte. Elle avait la marotte de nous acheter des chocolats de la Marquise de Sévigné, alors qu'on rêvait de fromage et d'oeufs.
Ma grand-mère dînait tous les soirs à La Tour d'Argent avec tonton Lili. Ce privilège découlant de la charge des usines Roullier qui avaient été réquisitionnées par les Boches.
Tonton Lili était obligé de se soumettre à un protocole martial de pays vaincu. 
Maman ne faisait jamais aucun reproche à sa propre mère. Elle ne se plaignait jamais. Dès qu'elle avait quelque chose, elle le partageait immédiatement avec la concierge ou les voisins.
Son obsession était de trouver du tabac brun. Les cigarettes allemandes étant du foin.
Alors j'avais pour mission à chaque sortie dans les rues, de ramasser le moindre mégot du caniveau et de porter mon butin à ma mère.
Elle roulait les bouts de tabacs trouvés, et se reconstituait une nouvelle cigarette avec.
Moi je haissait cette habitude, et j'ouvrais toutes grandes les fenêtres quand Maman fumait, la laissant dans son fauteuil en travers d'un moche courant d'air.
Maman était paralysée. Veuve à 39 ans. Et la cibiche, c'est à peu près tout ce qui lui restait. Avec moi.
Mais moi Michelle, j'étais déjà complètement carencée dès mes onze ans. Ce qui m'a valu une scoliose à 43°.
La guerre, c'est bien le pire souvenir de ma putain de vie.

DédéModé et Viktor Geté aiment ce message

Commentaires

LYDIE MARAIS MEDARD
SUITE CE SOIR
DédéModé
En même temps, c'est normal pour des pâtes d'être pâteux, non ?
LYDIE MARAIS MEDARD
En vérité ce mode de cuisson que je vous invite à essayer, rend les nouilles mi-cuites mi-crues ou étrangement cuites comme si, et c'est bien le cas avec la condensation, elles avaient pris tout leur temps pour ce faire.

DédéModé aime ce message

LYDIE MARAIS MEDARD
En 1940 et jusqu'à la Libération, c'est à croire que le climat et l'affreuse guerre s'étaient concertés pour nous en faire bien baver, les hivers étaient glacés. Extrêmement durs. Non seulement nous n'avions plus de combustible pour la chaudière, mais plus d'eau chaude non plus. Le lac d'Enghien sous ma fenêtre, était figé dans la glace, et on le traversait à pinces. A pinces avec des chaussettes de laine par-dessus les chaussures pour ne pas glisser. C'était pas beau, mais efficace. Tu parles d'un Holiday on Nice !
     J'étais descendue dans la cave noire, seule, pour démantibuler des caisses en bois, histoire de faire du feu là-haut dans l'appartement.
J'avais une sorte de hache ignoble, et je m'écorchais les mains sur les clous et les échardes.
Rosine nous avait laissées maman et moi. Elle était tombée amoureuse folle, profitant de ce que Jean, son bon à rien de mari, était prisonnier.
Elle voulait vivre son grand amour.
Moi Michelle, je faisais la vaisselle en vitesse dans la cuisine avec moins cinq degrés, et la rangeais encore plus vite sans la sécher. Tu penses, elle n'était pas grasse, on avait encore bouffé des rutabagas crus sans huile ni vinaigre.
Je faisais cette foutre de vaisselle en grelotant sous le manteau de fourrure que ma grand-mère m'avait donné. Elle venait de s'en acheter un neuf. De l'ocelot. Les riches te donnent toujours leurs vieilles fringues comme s'ils faisaient un acte inoui de charité.
Mais mon but quotidien était d'échapper au froid et de ne pas faire de vieux os dans l'horrible cuistance de la rue de Mora.
Donc je pardonnais ma grand-mère...
Pour nous coucher, je bassinais les lits avec des sortes d'ancêtres de bouillottes : des cylindres en cuivre qu'on faisait chauffer à blanc quand c'était possible, avant de les emmailloter dans plusieurs couches de liseuses de cashmere. Encore un cadeau de Maman-Ninette.
Une fois dans le lit, elles nous brûlaient les pieds ces bassines voltairiennes...
Le manteau de fourrure servait de couverture en couche supérieure.
Pire que la faim, le froid de la guerre est une chose qu'on n'oublie pas.
Sans doute était-il encore plus durement ressenti par un estomac vide et une carence en calories.
Au final, c'est donc la faim le pire à endurer.

Jihelka et Viktor Geté aiment ce message

LYDIE MARAIS MEDARD
Mon 5ème roman est en gestation. J'écris seule face à une mémoire qui m'appartient uniquement parce que je lui ai accordé de l'attention. De la tendresse. De la passion.
Les souvenirs de l'Occupation à Enghien les Bains sont ceux de ma mère. Pas du tout les miens.
Elle n'est plus là pour ajouter préciser tel ou tel détail.
Ecrire à quatre mains dont deux sont posthumes, est un acte intellectuel inoui qui ne résiste que par la force du respect, que par la force de l'amour filial.
En bref, je parlerai des bons côtés de cette effroyable guerre.
Elle en a donc ?
Oui, car qui peut tuer torturer la beauté quantique cosmique angélique musicale artistique, totalement naturelle ? Qui peut écorner la solidarité ?
Qui peut tuer Dieu ?
Si Maman a pu parfois dans des moments de faiblesse, regretter cette funeste période, c'est parce qu'elle y était jeune et cernée de tas d'amis.
Donc, invincible. Lucide. Informée.
Une presque survivante avec des droits et des devoirs plus forts.
En 40 les filles étaient belles sans cellulite et ne se plaignaient jamais.
En 39/40 dans la banlieue chic de Paris, c'étaient : 
La DCA.
Les forteresses volantes.
L'Etoile de David sur le manteau des écolières.
Le Pleyel quart de queue.
Les prisonniers russes au Casino qui chantaient toute la nuit.
L'exode.
Hitler qui arrive.
Les punaises de lit.
Les alertes à la bombe.
Le froid.
La faim.
L'indifférence des gros riches pour qui la guerre était un jeu.
Rosine.
Lucienne.
Gilbert.
Lonlette.
Le père Corley.
Le père Lavoine.
Maman-Ninette.
Poupouche.
Tonton Lili.
Mireille.
La mère Pekman.
La petite Pouquet et sa mère.
Les guppys.
Claude Masure.
Hélène.
Les Allemands mélomanes.
Paulette.
La peur.
La cave.
L'immeuble maudit.
Et protégé.
Chopin.
Rachmaninov.
Autant en emporte le vent.
La puissance réaliste de Scarlett, sa haine. 
Avoir la haine pour s'en sortir.
La Libé.
Les Ricains.
Chewingums et Corned beef.
Parachutes et vieilles dentelles.
Du café nous voulons boire du vrai café !
Kloubert et Foliasson.
Vétérans de 14/18. Sans enfant. Le profil droit un peu enfoncé...
Septembre 1938 la mort d'Emile Médard.
Cet ange.
Les Accords de Munich.

Ce que je veux par-dessus tout, c'est garder un ton léger et drôle à l'image de Michelle qui aimait profondemént la vie, malgré.
Malgré.
Elle désapprouvait la littérature noire à plaisir, du genre de celle qui s'invente une horreur qu'elle n'a pas vécu. Comme c'est facile de larmoyer avec les mots sans fondement utile...
Trouver des roses charnelles sur les charniers de l'Histoire est autrement plus méritant. Plus noble.
Tant pis si on n'est pas tout à fait digne de Saint-Ex. Ces roses-là aussi seront uniques.
Alors il reste à transcrire le plus simplement possible ce qui fut si lourd à supporter autrefois.
Mais après tout, que veut dire ''autrefois'' ?
WW2 c'était la semaine dernière.
 Et le temps commence maintenant.

DédéModé et Jihelka aiment ce message

DédéModé
Je trouve plus les premiers extraits, où vous disiez en substance que la guerre n'avait été qu'un prélude, si je ne m'abuse...

LYDIE MARAIS MEDARD aime ce message

LYDIE MARAIS MEDARD
Certes, mais ensuite ce fut les accidents du destin vu sous un angle totalement privé au travers de la génération perdue (née entre les deux guerres mondiales).
DédéModé
Vous disiez aussi que vous étiez plus forte que votre mère ; comment le savez-vous ? Vous n'avez pas vécu ce qu'elle a vécu !
LYDIE MARAIS MEDARD
Non je n'ai pas dit ça. Je suis moi et elle c'est elle. Je suis moins sensible c'est différent. Je me fiche de n'être pas aimée, elle, non.

DédéModé aime ce message

power_settings_newSe connecter pour répondre
remove_circleSujets similaires
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum