La mort de Rémy Pazione étonna tout le monde. Une fois qu’il fut établi qu’il avait été électrocuté par son ordinateur portable alors qu’il écrivait tranquillement sa prochaine nouvelle, installé sur son lit, en caleçon, le laptop confortablement posé sur ses cuisses, le public découvrit, médusé, que ce qui aurait dû n’être dévoilé qu’à la fin de la nouvelle était résumé là, d’entrée, en quelques lignes. Chacun de ses lecteurs, dans le secret des régions les plus cachées de son âme, lui en voulait. Lui en voulait d’avoir gâché la fête car oui, une nouvelle de Rémy Pazione, c’était toujours une fête et là, ce con, avec tout le respect dû aux morts, avait cramé la chute. Vendu la mèche. Spoilé son propre travail. Pour tout dire, l’étonnement général fit très vite place au ressentiment. On aurait aimé arrêter de le lire, pour se venger, eût-il été toujours vivant. Maintenant, c’était différent, ce ne serait plus par choix mais par obligation qu’on ne lirait plus ses nouvelles nouvelles : il n’y en aurait plus. Les plus critiques des critiques avancèrent que Pazione, acculé par le manque d’inspiration, avait organisé sa propre fuite. D’ailleurs, insistaient-ils, sa dernière œuvre ne se résumait-elle pas à ce qu’on nomme communément une fuite ? Les plus optimistes, eux, voulaient croire que tout cela n’était que fiction, que Rémy Pazione coulait des jours heureux dans une résidence secondaire du Lubéron, mais les journalistes étaient catégoriques : dans la plus grande intimité, certes, mais sans l’ombre du moindre doute, Rémy Pazione avait été enterré dans une petite commune du Var.
Le chat de l’écrivain eut droit à un traitement différent : il fut trouvé tout mouillé dans la baignoire. Ah. On tenait quand même un petit bout de suspense. On n’allait pas le lâcher (fallait-il adresser des remerciements posthumes à Pazione ?). Le chat mouillé, que les policiers étaient ennuyés de ne savoir interroger, tremblait beaucoup et curieusement, ne miaulait pas, si bien qu’on se demanda si c’était bien un chat. Les policiers avaient pris le raccourci que tout le monde aurait pris : tous les écrivains ont un chat, cet écrivain avait un animal de la taille approximative d’un chat, donc l’animal était un chat. Or, lorsqu’on voulut bien pousser les investigations, et qu’on pinça assez fort une oreille du similichat pour le faire miauler, rien ne se passa. Le similichat restait muet. On mordit. Muet. Les heures passant, le presque-chat sécha, et on lui vit une fourrure qui faisait plus penser à une fouine qu’à un chat. L’information, a priori sans grande conséquence, fut révélée dans le journal. C’est alors que l’affaire Pazione prit un tout autre tour.
Si le chat de Pazione n’était pas un chat mais une fouine, qu’en était-il de Pazione lui-même ? La question n’était jamais que celle de l’identité, qui avait surgi sans prévenir, comme une balle perdue, au sein d’une nouvelle aux contours imprécis. Ce fut l’occasion pour Théo DeLommaer, un confrère de Rémy Pazione, de sortir de l’anonymat. Dans exactement le même temps que celui qu’il faut pour l’écrire, il endossa le costume de l’auteur qui allait bientôt mourir électrocuté. DeLommaer huma très tôt que le coup du laptop était trop facile. Par ailleurs, la fouine toute mouillée dans la baignoire, ça lui rappelait quelque chose, mais quoi ? Sans même pouvoir répondre à la question, il supposa le seul scénario qui était crédible : la fouine de Pazione avait trouvé ce dernier mort électrocuté dans sa baignoire et, en mal d’inspiration, l’avait séché, puis porté sur son lit, puis, après lui avoir enfilé un caleçon, avait posé son laptop sur ses cuisses. Afin de brouiller les pistes et de préserver la réputation de son employeur, elle avait d’une part pris une douche juste après avoir appelé la police, d’autre part fait appel à Théo DeLommaer pour l’aider à mettre un peu d’ordre dans tout ce bordel. DeLommaer ne se fit pas prier, trop heureux de voir déjà ruisseler sur lui les ors de la réputation de Rémy Pazione. La fouine ? Quelle fouine ?
Thierry Lazert aime ce message
Salima SalamLun 3 Juin - 18:44