"J'apprends à mon père à écrire son nom. En lettres d'imprimerie, d'abord.
Ce sera sa signature. Je suis toujours mal à l'aise lorsque je dois signer
à sa place mes carnets scolaires... Est-il épaté ou troublé d'écrire pour la
première fois de sa vie, à l'âge de trente-six ans ?...
Que de temps perdu, je pense, depuis les années qu'il travaille en France.
On aurait pu proposer aux ouvriers algériens des cours du soir d'écriture,
d'alphabétisation, et leur témoigner de cette manière un peu d'estime. Ils
devraient tous savoir lire et écrire...
On m'a déshumanisé mon père. On me l'a rendu telle une bête de tranchées,
du marteau et de la pelle. Il est là, surpris, ému, parce que ce n'est finalement
pas si difficile que ça de se servir d'un stylo. Il le voit.
Il ne fallait pas qu'ils soient instruits, ces travailleurs étrangers c'est dangereux.
Je me dis que c'est la seule raison qui a pu pousser la France à les laisser
végéter dans l'ignorance. Il fixe le stylo qu'il a dans la main, son nom sur la
feuille blanche... Assis à côté de lui, j'entends sa respiration, son souffle.
À quoi pense-t-il ce soir dans notre baraque ? Se dit-il qu'analphabète, il est
une proie facile pour ses employeurs, un animal en captivité ? La colère monte
en moi. Je me surprends à haïr. Mais haïr qui, quoi ?"
Mehdi Charef - "Vivants"
Dernière édition par Jihelka le Mar 30 Mai - 15:22, édité 3 fois
Ce sera sa signature. Je suis toujours mal à l'aise lorsque je dois signer
à sa place mes carnets scolaires... Est-il épaté ou troublé d'écrire pour la
première fois de sa vie, à l'âge de trente-six ans ?...
Que de temps perdu, je pense, depuis les années qu'il travaille en France.
On aurait pu proposer aux ouvriers algériens des cours du soir d'écriture,
d'alphabétisation, et leur témoigner de cette manière un peu d'estime. Ils
devraient tous savoir lire et écrire...
On m'a déshumanisé mon père. On me l'a rendu telle une bête de tranchées,
du marteau et de la pelle. Il est là, surpris, ému, parce que ce n'est finalement
pas si difficile que ça de se servir d'un stylo. Il le voit.
Il ne fallait pas qu'ils soient instruits, ces travailleurs étrangers c'est dangereux.
Je me dis que c'est la seule raison qui a pu pousser la France à les laisser
végéter dans l'ignorance. Il fixe le stylo qu'il a dans la main, son nom sur la
feuille blanche... Assis à côté de lui, j'entends sa respiration, son souffle.
À quoi pense-t-il ce soir dans notre baraque ? Se dit-il qu'analphabète, il est
une proie facile pour ses employeurs, un animal en captivité ? La colère monte
en moi. Je me surprends à haïr. Mais haïr qui, quoi ?"
Mehdi Charef - "Vivants"
Dernière édition par Jihelka le Mar 30 Mai - 15:22, édité 3 fois