"...J'arrive au bout de mon rouleau. Je me suis bien appliqué avec
mon porte-plume comme à l'école de l'avenue de Choisy. Ça m'a
valu quelquefois de bonnes notes dans les chroniques des belles
lettres.
On m'invite à la téloche pour participer à des gaudrioles. Ça m'aide
à payer mon vigilant percepteur. Je vois apparaître sur l'écran un
vieux gus un peu empâté. Je reconnais difficilement l'enfant si
naturel de la Dezonnière qui courait derrière un cerf-volant que
j'avais fabriqué dans l'appentis de papa Auguste. C'est après mon
enfance que je cours... je l'ai crue morte et puis elle revient avec un
cerf-volant...Le vieux mec que je regarde à la télévise en émission
différée, il a perdu irrémédiablement toute la grâce, la gentillesse
du petit môme que je retrouve sur quelques rares photographies.
J'y avais pourtant l'air un peu triste avec ma blouse noire d'écolier...
Je suis né comme un chien dans un jeu de quilles... Quand je serai
mort, qu'on me creuse un trou comme le fit Auguste dans le fond
d'un jardin pour mon chien Marquis... un jardin où les petites filles
du village viendront chanter le jour des prix... Vendre les roses de
mon rosier dans un joli panier d'osier... Un jardin de mon coeur d'où
je pourrai voir la route... Une Torpédo s'arrêtera... en descendra une
jeune, une très jeune femme, en robe courte, coiffée à la garçonne...
Un léger, léger fantôme... rien que pour moi au royaume des ombres...
Alphonse Boudard "Mourir d'enfance"
mon porte-plume comme à l'école de l'avenue de Choisy. Ça m'a
valu quelquefois de bonnes notes dans les chroniques des belles
lettres.
On m'invite à la téloche pour participer à des gaudrioles. Ça m'aide
à payer mon vigilant percepteur. Je vois apparaître sur l'écran un
vieux gus un peu empâté. Je reconnais difficilement l'enfant si
naturel de la Dezonnière qui courait derrière un cerf-volant que
j'avais fabriqué dans l'appentis de papa Auguste. C'est après mon
enfance que je cours... je l'ai crue morte et puis elle revient avec un
cerf-volant...Le vieux mec que je regarde à la télévise en émission
différée, il a perdu irrémédiablement toute la grâce, la gentillesse
du petit môme que je retrouve sur quelques rares photographies.
J'y avais pourtant l'air un peu triste avec ma blouse noire d'écolier...
Je suis né comme un chien dans un jeu de quilles... Quand je serai
mort, qu'on me creuse un trou comme le fit Auguste dans le fond
d'un jardin pour mon chien Marquis... un jardin où les petites filles
du village viendront chanter le jour des prix... Vendre les roses de
mon rosier dans un joli panier d'osier... Un jardin de mon coeur d'où
je pourrai voir la route... Une Torpédo s'arrêtera... en descendra une
jeune, une très jeune femme, en robe courte, coiffée à la garçonne...
Un léger, léger fantôme... rien que pour moi au royaume des ombres...
Alphonse Boudard "Mourir d'enfance"