Le Bastringue Littéraire
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"... C'est-à-dire je vais t'expliquer... Je la fais élever à Bordeaux 
chez les Soeurs... Mais pas des Soeurs pour les pauvres, tu me
comprends hein !... Chez des Soeurs "bien"... Puisque c'est moi
qui m'en occupe, alors tu peux être tranquille. Je veux que rien
lui manque ! Ginette qu'elle s'appelle... C'est une gentille petite
fille... Comme sa mère d'ailleurs... Elle m'écrit, elle fait des progrès,
seulement, tu sais, les pensions comme ça, c'est cher... Surtout
que maintenant elle a dix ans... Je voudrais qu'elle apprenne le
piano en même temps... Qu'est-ce que t'en dis toi du piano ?...
C'est bien le piano, hein, pour les filles ?... Tu crois pas ?... Et l'
anglais ? C'est utile l'anglais aussi ?... Tu sais l'anglais toi ?...
     Je me mis à le regarder de bien plus près Alcide, à mesure
qu'il s'avouait la faute de ne pas être généreux, avec sa petite
moustache cosmétique, ses sourcils d'excentrique, sa peau cal-
cinée. Pudique Alcide ! Comme il avait dû en faire des économies
sur sa solde étriquée... sur ses primes faméliques et sur son
minuscule commerce clandestin... pendant des mois, des années,
dans cet été infernal Topo !... Je ne savais pas quoi lui répondre
moi, je n'étais pas très compétent, mais il me dépassait tellement
par le cœur que j'en devins tout rouge... À côté d'Alcide, rien qu'un
mufle impuissant moi, épais, et vain j'étais... Y avait pas à chiquer.
C'était net.
     Je n'osais plus lui parler, je m'en sentais soudain énormément
indigne de lui parler. Moi qui hier encore le négligeais et même le
méprisais un peu, Alcide.
     "Je n'ai pas eu de veine, poursuivait-il, sans se rendre compte
qu'il m'embarrassait avec ses confidences. Imagine-toi qu'il y a
deux ans elle a eu la paralysie infantile... Figure-toi... Tu sais ce que
c'est toi la paralysie infantile ?"
      Il m'expliqua alors que la jambe gauche de l'enfant demeurait
atrophiée et qu'elle suivait un traitement d'électricité à Bordeaux,
chez un spécialiste.
     "Est-ce que ça revient, tu crois ?..." qu'il s'inquiétait.
      Je l'assurai que ça se rétablissait très bien, très complètement
avec le temps et l'électricité. Il parlait de sa mère qui était morte et
de son infirmité à la petite avec beaucoup de précautions. Il avait
peur, même de loin, de lui faire du mal.
     "As-tu été la voir depuis sa maladie ?
       - Non... j'étais ici.
       - Iras-tu bientôt ?
       - Je crois que je ne pourrai pas avant trois ans... Tu comprends
ici, je fais un peu de commerce... Alors ça lui aide bien... Si je partais
en congé à présent, au retour la place serait prise... surtout avec l'
autre vache..."
       Ainsi, Alcide demandait-il à redoubler son séjour, à faire six ans
de suite à Topo, au lieu de trois, pour la petite nièce dont il ne possé-
dait que quelques lettres et ce petit portrait. "Ce qui m'ennuie, reprit-
il, quand nous nous couchâmes, c'est qu'elle n'a là-bas personne pour
les vacances... C'est dur pour une petite enfant..."
       Évidemment Alcide évoluait dans le sublime à son aise et pour
ainsi dire familièrement, il tutoyait les anges, ce garçon, et il n'avait
l'air de rien. Il avait offert sans presque s'en douter à une petite fille
vaguement parente des années de torture, l'annihilement de sa pauvre
vie dans cette monotonie torride, sans conditions, sans marchandage,
sans intérêt que celui de son bon cœur. Il offrait à cette petite fille loin-
taine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se
voyait pas.
       Il s'endormit d'un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever
pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde.
Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque
chose pour distinguer les bons des méchants. "

Louis-Ferdinand Céline -"Voyage au bout de la nuit"

Dernière édition par Jihelka le Mer 26 Juil - 15:37, édité 1 fois

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Une coquille ?

"et de son père infirmité à la petite avec beaucoup de précautions"


Il y a quand même des moyens de reconnaître les bons des méchants. Parfois, faut observer longtemps. Et puis faut vouloir aussi, faut savoir lire les signes.

_________________
Virtus verborum amo.

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Ah, merci, y'avait un mot en trop.

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Ah ! le chef d'œuvre de Ferdine ! un des rares passages de belle humanité... le seul peut-être... CanZoniere ?

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Oui. Il y a aussi ce rayon furtif dans la grisaille de Rancy : le petit Bébert,
qui fera pas de vieux os...

"... Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure 
que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers..."

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Oui, ça me revient...

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