Chapitre 5
Monick se sent un peu seul. Personne ne s’est occupé de lui depuis son arrivée à 9 heures. Installé à une table de la terrasse intérieure, il admire le ballet des techniciens, électriciens, cameramen et photographes, maquilleuses et coiffeurs, accessoiristes, ingénieurs du son, et toutes sortes d’assistants, qui tourbillonnent sans se télescoper, tant chacun sait ce qu’il a à faire, autour de Djodie et Djack qui, indifférents au remue-ménage, répètent, discutent, rigolent ensemble et avec le réalisateur. Sans lui jeter le moindre regard, sont même pas venus lui dire bonjour au passage. Heureusement, il y a Hilde, la jolie maquilleuse à qui il a offert le lys, petite rouquemoute aux yeux bleus malicieux et à la bouche pleine et luisante comme un bonbon sucé. Elle lui a lancé moult sourires et œillades depuis le matin, en courant d’un figurant à l’autre.
Monick s’emmerderait presque mais après tout, c’est pas si mal payé, autant s’emmerder dans un palace de la Cote d’Azur qu’à la Défense, accroché à une nacelle en plein vent à deux cents mètres du sol. Pas non plus à se plaindre du séjour, c’est le grand luxe, un matelas des plus confortables et des draps de soie où Hilde la mutine ne va pas tarder, il espère, a se glisser. Et puis le bar au frigo rempli de bonnes choses solides et liquides, Et puis la bouffe, ah la bouffe ! Ce midi, « Chaton de lait caramélisé façon Poutine, servi sur son placenta » a annoncé la belle grande brune maîtresse d’hôtel. Un des plats préférés, paraît-il, des oligarques russes qui étaient jusqu’aux derniers événements ukrainiens la clientèle principale du Parador. Un summum de succulence, ce chaton, Monick en a repris deux fois. Avec une bouteille d’un petit blanc sec conseillé par le sommelier, irréprochable. Faudra penser à ramener un petit souvenir à Aubépine, la remercier du bon plan.
Enfin, en début d’après-midi, alors qu’il était au bord de s’assoupir, excès de placenta ? le metteur en scène l’a fait venir sur le plateau. « Hi Monick ! Tou es pawfaite, pas le peine to change le costioume, il est hmm… twès fwançais, hu hu hu. Well, tou vois Jodie pwès de le baloustwade là-bas, right, alow tou avances vew elle, tou t’arrêtes jeuste dewrrière, là elle se wetourne et te donne une petite claque et tou weviens, thats’all. ‘nderstand ? Right. Please… Action ! » Monick s’est avancé comme on lui a dit et arrêté juste derrière l’actrice qui s’est retournée, lui a jeté son fameux regard acéré macronien, et lui a collé une vraie torgnole de cowboy, la vraie baffe qui ne part pas du bras mais de l’épaule. Monick en a fait un demi tour sur place et est reparti comme un automate à son point de départ. A coté de la caméra, Djack était plié en deux de rire. « Marvelous, Jodie ! » a commenté le réal « Monick, c’était pwesque pawfait mais un peu twop statique, tou dois accompagner le gifle, ‘nderstand ? Allez, on la wefait, let’s do it again ! Sorry Jodie ! » Hilde est venue poudrer la rougeur brûlante des doigts sur la joue de Monick et lui a susurré « Poor little froggy, Jodie te fait payer la fleur, je crois... « Action » a ordonné le réal. Trois fois comme ça, trois regards macroniens inflexibles, trois méga baffes de cowboy. Et Djack qui en pissait dans son froc. En effet, quand on s’y attend et qu’on accompagne, ça fait moins mal, quand même Monick a la joue en feu et enflée, malgré la pommade délicatement appliquée par Hilde, et il est à deux doigts de distribuer du bourre-pif à Jodie et à Djack, et au réal dans la foulée. Celui-ci s’en est aperçu, il lance « Cut ! Let’s take a break ! »
Monick est retourné s’asseoir à sa table avec une bouteille de champagne abandonnée à demi pleine sur une autre table. Il a bien mérité ça. Tu parles d’un bon plan ! Tête à claque, le rôle ! Punching ball ! La scène suivante, il croit avoir compris que c’est avec Nicholson. Si c’est du même genre, ça va pas se passer pareil « vais te lui démonter le dentier à ce sale con ! On va voir si ça le fait rire… »
- S’il te plaît, dessine-moi un mouton.
C’est Djodie Fosteur. Il l’a pas vue venir. Marrant, elle est vraiment toute petite, minuscule : assis il est plus grand qu’elle debout. Son regard macronien est planté dans le sien.
- S’il te plaît, dessine-moi un mouton.
- Non.
- S’il te plaît…
- Oui bon OK.
Monick sort son quatre couleurs, se penche sur l’actrice et lui dessine un gros point rouge sur le nez. Macronien aussi, le nez.
- Voilà, un bouton. Maintenant, dégage !
- Very amaaaaaaziiiiing ! Typically french humour ! Joue moi de la guitare.
Elle lui tend une guitare flamenco. Ah le pot de glu…
- Je sais pas jouer de la guitare, moi. Va voir Thierry Lazert, lui il...
- Tous les Espagnols savent jouer de la guitare.
- Je suis p…
- Joue moi de la guitare !
Tout à fait la star, cette truffe, pas habituée à être contrariée, à ce qu’on lui refuse quoi que ce soit. Monick chope la guitare, la pose sur son genoux comme il a vu faire et miracle : ses doigts jouent, tout seuls, sans lui, ils courent sur le manche et c’est vraiment très très beau ! Si si.
Pendant quelques minutes, il a joué, merveilleusement joué. Vraiment beaucoup mieux que Thierry Lazert. Djodie le fixait, son regard n’avait plus rien de macronien, ses lèvres minces esquissaient un sourire carrément niais. Magie de la musique. Elle s’est approchée, lui a roulé un profond patin trop baveux, écœurant, et s’est introduite souplement dans la guitare. Incroyable ! D’accord, elle est toute petite petite mais… Intrigué, Monick a écarté les cordes et a glissé sa tête par la rosace en appelant « Hé la star ! T’es où ? » Pas de réponse, alors il est entré à son tour dans la guitare, beaucoup plus spacieuse qu’elle n’en avait l’air. Il y faisait sombre, il se déplaçait en longeant les parois. Les bruits extérieurs lui parvenaient étouffés comme s’il était sous l’eau. D’ailleurs, il avait la sensation de flotter, sans efforts, sans notion de temps, la température était idéale, il n’avait pas faim, ni soif, ni envie de ressortir tant il se sentait bien, en paix. Au bout d’un certain temps - plusieurs heures, plusieurs mois ? -, une lueur lui apparut qui révélait une sorte d’orifice, de fente entre les hanches de palissandre, tout au bout là-bas. Il se sentait irrésistiblement aspiré par cette lumière et passa la tête pour voir… Une voix forte résonna : « c’est un garçon, madame ! Un beau garçon ! » Monick se mit à pleurer. La voix dit : « ciseaux ! » puis « coupez ! »
Amusant ce rêve, presque fidèle à ce qu'il a vécu 20 ans avant, ce tournage de film... la jolie Hilde... Monick est bien ragaillardi par sa petite sieste. L’esprit clair. Voyons voir… deux options possibles, lui a dit la connasse conseillère du Bien Vieillir, pour faire court : devenir gibier humain pour le plaisir d’un richissime potentat ou être transformé en matière organique vivante... « Tain ça fait peur ça. Hé bien ma vieille, tu t’es planté sur mon compte, je choisis la troisième option : je vais m’occuper de toi. Je connais ton domicile. En plein Paris, sur l’Ile St Louis, tu ne te refuses rien, vieille peau, tu dois avoir de sacrés relations. C’est un quartier survolé le jour par les drones-flics, pas grave ça se fera de nuit, et quadrillé par les caméras, rien ne leur échappe. Sauf si on sait y faire. Pas pour rien que, dans le milieu, on m’appelle le Rat. Je m’infiltre, je m’insinue, la moindre faille je m’y glisse, les caméras je m’en joue, j’ai l’œil pour trouver l’angle mort, profiter du passage d’un véhicule, l’ombre d’un passant me suffit pour leur échapper. Donc, déjà me débarrasser de la conseillère. Et m’emparer de ses objets de valeur pour faire croire à un vol qui a mal tourné. Ensuite je me casse à l’étranger. »
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