Victor est grand et large d’épaules, sa quarantaine musclée porte un visage imposant, une mâchoire large, un front haut et des yeux clairs qui cherchent l’horizon. Victor en a fait fuir plus d’un sans lever un petit doigt. Lui qui ne ferait pas de mal à une mouche.
Ce matin-là, il est à une terrasse du centre ville en train de boire un café, quand lui vient une idée étrangère, une idée emprunte du mal qu’il n’a jamais fait, ni à une mouche, ni à quiconque. Une fois sa tasse bue, son regard se perd dans le vide : il semble méditer et lorsque le garçon de café, un jeune homme d’une vingtaine d’années, passe devant lui, Victor paraît hésiter. Quelque chose, visiblement, le préoccupe. Il ébauche un geste en direction du garçon et se ravise aussitôt, baissant son bras immédiatement. Le garçon a remarqué quelque chose mais se garde bien d’affronter la moindre humeur de ce genre de gars. Victor montre toujours la même gêne, quand, n’y tenant plus, il s’adresse, timidement, au garçon :
– Pardonnez-moi, jeune homme, de vous importuner sans façon, mais j’aurais quelque chose de très spécial à vous demander.
Le garçon, surpris, n’en mène pas large :
– Je vous en prie, monsieur, dites-moi.
– Voilà : j’ai quarante-quatre ans, je ne sais pas pourquoi je vous précise mon âge, enfin, si, c’est pour que vous mesuriez ce que veut dire pour moi « depuis toujours », … et… depuis toujours, donc, quand je bois un café quelque part, j’ai une envie folle de partir sans payer. Je ne le fais jamais, bien sûr, parce que je sais que « ça ne se fait pas », comme on dit. Mais aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, je me dis qu’après largement plus de vingt ans de frustration, de répression, je pourrais peut-être me permettre une exception, si je vous le demandais de manière civilisée.
Le garçon sent ses jambes devenir cotonneuses et sa cervelle faire sous elle – Ah putain, c’est quoi son plan à lui ? Me demander s’il peut partir sans payer ? Alors qu’avec son physique et sa gueule, il a pas à me demander…
– Jeune homme, je vous demande pardon d’insister, mais je ne partirai pas sans payer sans votre agrément, c’est impensable.
Le jeune homme réfléchit aussi vite que la sidération le lui permet :
– S’il vous plaît, monsieur, partez vite, s’il vous plaît.
– Ah, mais attendez ! Il ne s’agit pas de partir vite en courant comme un voleur. Non, je voudrais partir sans payer, mais tranquillement, je dirais, si j’osais, comme si j’étais sûr que je n’aurai plus jamais à payer mon café. Vous voyez ?
C'est d'un drôle !
Éventuellement, cette formule serait à reconsidérer : "un jeune homme sans personnalité ni aucune sorte de caractère", j'ai buté dessus, la trouvant trop peu littéraire.
C'est - d'un - drôle !!! Vraiment une réussite ! Et le titre, nickel ! Ça me fait sourire à chaque fois que j'y pense depuis que je l'ai lu cet aprem.
Thierry Lazert aime ce message
Salima SalamSam 30 Sep - 20:59