Je l’ai aperçu un soir alors que je quittais le boulot plus tôt. Un grand échalas fumant une cigarette sur le quai, attendant le TGV pour Paris. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite, d’habitude je m’attends pas à voir Biolay en allant prendre le train, surtout qu’il n’habite pas dans le coin. Et pourtant, je venais d’assister à son concert l’avant-veille, un spectacle où j’étais parvenu à emmener ma femme malgré ses réticences :
- Pouah, Biolay, c’est d’un déprimant !
- Mais non, il est génial : Palermo Hollywood, Miss Miss, Ton héritage…
- Connais pas !
- La superbe, la débandade …
- Tu rigoles ?
Bon gré, mal gré, elle a accepté de m’accompagner à la Cité des Congrès. Et ce fût un sacré bon concert même, à part l’idée d’afficher un compte à rebours sur l’écran dix minutes avant de commencer. L’égrenage des minutes fût interminable avant que résonnent les premières notes de « A l’origine ». Sinon un vrai pro le gars. Certes, j’étais agacé par une partie du public : des jeunes retraitées qui se trémoussaient et braillaient, des étoiles dans les yeux comme des gamines dans l’espoir que leur idole les aperçoive, sans compter leurs gloussements stridents. Ma femme n’a pas manqué de me charrier avec ça :
-Dis donc, son public…
- Oui ?
- C’est la débandade !
- Oui bon !
Tout public est bon à prendre. Comment est ta peine ? qu’il chante le gars ! Ça c’était mercredi. Je ne m’attendais donc pas du tout à voir Biolay sur le quai d’une gare moins de deux jours après, tout vêtu de jean, sa valise aux pieds et clopant nonchalamment en attendant son train. Seul, sans musiciens et sans garde du corps, comme n’importe quel usager.
- Tu lui as pas demandé un autographe ?
- Pas pensé.
Déjà, le temps que je réalise que c’était vraiment lui, mon train s’apprêtait à partir sur la voie d’à côté et puis ce n’est pas trop mon genre d’aborder les gens comme ça, surtout ceux que je ne connais pas. Parce que Biolay, j’ai beau posséder certains de ses disques (avec une préférence pour le premier, Rose Kennedy), et celui qu’il a produit pour Paradis (un disque plutôt raté selon moi), je ne le connais pas vraiment ce type. J’imagine que les groupies grisonnantes du concert lui auraient sans hésiter sauté dessus pour avoir un selfie. Pas moi.
Du coup, je n’ai pas grand-chose à raconter sur cette non-rencontre avec Biolay, pas comme mon collègue qui claironne depuis des années qu’il a vu Mimie Mathy lors d’une soirée parisienne, et « qu’elle ne lui arrivait même pas à la ceinture ». Chacun ses goûts après tout.