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NOUVELLE : L’Amour toujours

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03052022
NOUVELLE : L’Amour toujours

Dans le petit jardin, l’amandier est déjà en fleur. Il n’est plus en très bon état. On dirait qu’il a attrapé une maladie. Il donne encore mais peu. À chaque floraison, Vincent se dit qu’il est temps qu’ils le coupent et le remplacent par un abricotier. Bientôt, peut-être. Mais pas aujourd’hui. Il attend qu’on vienne chercher le piano. Ils n’ont eu aucun mal à trouver des acquéreurs, il fallait simplement se décider à le mettre en vente.
C’est le piano de sa grand-mère Aimée. Un piano droit ordinaire qu’ils ont fait accorder régulièrement bien que personne ne sache en jouer. Le père de Vincent avait pris la musique en grippe et avait toujours refusé de s’y initier. Lui-même avait suivi des cours dans son enfance, puis s’en était désintéressé. Sa femme Élise et leurs enfants n’ont jamais montré de curiosité à son égard. C’était un meuble familier sur lequel dormaient deux chandeliers et un métronome également délaissés mais consciencieusement dépoussiérés.
Lorsqu’ils sont venus habiter la maison de la grand-mère et qu’elle s’est installée dans un appartement, la passation s’est effectuée sans heurt. Elle ne leur a rien imposé. Ils pouvaient se défaire de tout. Elle emportait ses souvenirs avec elle. Toutefois, ni Vincent ni Élise n’auraient envisagé de se débarrasser du piano. Il représentait tant pour Aimée. C’était le piano de son mari, un mari mort trop tôt, trop jeune, emporté par une pneumonie, qui laissait une femme, deux enfants et une sonate.
Vincent a grandi bercé de l’histoire de la passion d’Aimée pour son époux Paul qui aimait beaucoup la musique mais à qui on n’avait pas permis d’en faire son métier. Il s’était donc tourné vers le droit et contenté de développer ses talents de musicien en famille. Ils s’étaient d’ailleurs rencontrés dans un concert du nouvel an. Aimée disait qu’elle avait tout de suite reconnu l’amour de sa vie dans les yeux de Paul, dans son allure digne et posée. Lui-même n’était pas resté insensible au charme de la vive brunette qu’elle était à l’époque et ils n’ont pas été longs à se marier. Ils s’étaient trouvés. Le piano tenait une place importante dans leur salon. Il vivait presque tous les jours sous les doigts de Paul qui substituait souvent la musique aux paroles. Ainsi, lorsque Aimée lui demandait si tel menu lui convenait, quelques notes joyeuses en réponse signifiait qu’il n’avait rien à y redire. Une fugue orageuse exprimait sa colère ; une promenade dans le jardin, piano fermé, sa bouderie. Les anecdotes d’Aimée étaient sans fin. Elle riait encore lorsqu’elle racontait comment il frappait sur les touches pour s’insurger contre la visite d’un cousin qu’il n’aimait pas. Les yeux dans le vague, elle se remémorait les mélodies romantiques qu’il lui jouait quand les enfants étaient couchés. Ils ne sortaient pas beaucoup. Ils aimaient simplement passer les soirées ensemble, dans le calme de leur maison, avec le piano.
Il n’avait composé qu’un seul morceau, une sonate qu’il lui avait dédiée. Sa sonate. Elle n’avait pas besoin qu’on la lui joue, au contraire, car elle était gravée dans sa mémoire et dans ses sens. Enveloppée dans le silence, la sonate ne survivait plus que pour elle. Elle n’avait pas voulu qu’on la joue à l’enterrement de Paul. Elle ne l’aurait pas supporté.
Après l’effroyable choc de la disparition soudaine et le désespoir, Aimée a entamé une nouvelle vie, tournée vers ses enfants, imprégnée du doux souvenir de son grand amour. Et il a encore grandi avec les années. Paul était irremplaçable.
Pour Vincent, son grand-père était un héros magnifique, un géant paré de toutes les vertus. Son père et ses tantes ne l’évoquaient pas. Mais il aimait faire raconter sa grand-mère qui l’envoûtait mieux qu’en lisant des contes de Perrault. Il aurait voulu que le piano joue de lui-même, comme ces pianos mécaniques des westerns, et que son grand-père lui parle à travers lui. C’était ce qu’il imaginait une fois que sa grand-mère avait éteint la lumière et refermé la porte derrière elle.
 
Lorsqu’on sonne à la porte, il est loin dans ses rêveries et c’est Élise qui va ouvrir. Ils sont quatre, avec une camionnette, ils ont vite fait d’y charger le piano. Tout se déroule si rapidement pour Vincent dont l’esprit se promenait loin dans ses souvenirs qu’il reste un peu groggy lorsqu’il se retrouve seul avec Élise. Les chandeliers sont sur la table. Ils ont donné le métronome avec le piano. Elle l’enlace. Il la serre contre lui en regardant l’amandier. Lui est encore là. Il a été planté à sa naissance. Non, il ne va pas le couper. Il va tenter de le soigner.
 
Le trajet n’est pas long. Ils n’habitent qu’à une cinquantaine de kilomètres de là. Ils vont installer le piano dans une pièce du rez-de-chaussée pour le moment, puis ils réfléchiront à l’endroit le mieux adapté. En lui faisant passer la porte d’entrée, l’un d’eux lâche prise et l’envoie cogner contre un mur mais il est à peine éraflé. De toute façon, ils avaient prévu de faire venir l’accordeur. Rien de grave. Toutefois, le soir, en montant se coucher, Inès n’a pas l’esprit apaisé. Le piano leur a coûté cher et elle ne voudrait pas qu’ils l’aient abimé avant même de s’en être servi. Elle descend donc inspecter la griffure pour en avoir le cœur net. Elle passe l’index sous le cadre et bute sur une pièce saillante qui semble amovible. En tâtonnant, elle parvient à appuyer dessus et libère d’un clic un fin tiroir qui s’entrouvre. Elle en retire des lettres.
— Qu’est-ce que tu fais toute seule dans la pénombre ?
— Regarde ce que j’ai trouvé dans le piano. Des lettres. Des lettres d’amour.
— Fais voir.
— Elles sont adressées à un certain Paul. Elles sont signées Céline. Qu’est-ce qu’on fait ?
— Je sais pas. On les appelle demain, tu crois ?
— Je sais pas non plus. On verra demain.
Le lendemain, ils décident de ne rien dire et de remettre les lettres à leur place. Personne ne leur a raconté l’histoire du piano ni évoqué la présence d’une cache. Si les anciens propriétaires se rappellent soudain cette correspondance, ils viendront la réclamer. Si personne n’en sait rien, elle poursuivra sa mystérieuse vie dans le corps du piano.
 
Élise et Vincent sont assis dans le salon. Ce n’est pas l’amandier qu’ils regardent ce matin mais l’espace libéré dans la pièce. Pour elle aussi, il est légèrement oppressant. Le piano les accompagne depuis toujours semble-t-il. Elle frissonne et lui prend la main. Vincent la rassure. Il n’est pas triste. Il pense bien sûr à Aimée qu’ils ont enterrée il y a un mois mais son évocation le remplit de douceur. Il pense à la chance qu’elle a eu de connaître un si bel amour et à l’air paisible qu’elle avait en sachant qu’elle allait rejoindre Paul. Car, pour Aimée, ça ne faisait aucun doute. Elle s’y était préparée.
Élise se blottit un peu plus contre lui. Elle ferme les yeux. En cet instant, elle voudrait oublier. Elle voudrait effacer l’image du piano. Nue, les jambes enroulées autour de Sébastien, assise sur le clavier fermé. Ses mains, son envie. C’était sur le piano qu’il la voulait. Elle serre plus fort les paupières mais l’image ne disparaît pas.
— Ça fait un peu vide comme ça, lui dit Vincent. On pourrait mettre un fauteuil à la place, non ? Un confident ! Ça aurait plu à ma grand-mère, ça ! C’est un peu désuet mais ça en jetterait. Tu trouves pas ?
— Oui. Pourquoi pas ? C’est une bonne idée. Faisons ça.

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Commentaires

Salima Salam
Chronique familiale avec son lot de secrets, de déceptions et de nostalgie. Ouverture sur la chute avec un possible nouveau départ pour le couple.

Phrases courtes, marque de l'auteure, s'arrêtant sur les petits tracas du quotidien, ce qui donne une vue plongeante sur le caractère du protagoniste : indécis contemplatif, tourné vers le passé, idéaliste se heurtant aux écueils de la réalité et d'un entourage qui ne partage pas ses rêves et passions.
La grand-mère apporte du relief à la généalogie et dispense une aura positive sur le récit. 
La femme, Élise, est peu dessinée et s'avère repliée sur son secret. J'ai cru un instant que Sébastien était le père de Vincent, ce qui m'a remémoré la trilogie des films Bleu Blanc Rouge où Juliette Binoche a une liaison avec le père de  son mari. 

Surtout dans le premier paragraphe, agencement des information est un peu décousu. Peut-être un petit remaniement permettrait une progression plus logique, guidant le lecteur pour qu'il arrive plus facilement là où il doit arriver. 

Ex :

Dans le petit jardin, l’amandier est déjà en fleur. 
Déjà annonce la précocité ce qui est habituellement positif.

Il n’est plus en très bon état. Ici il y a un élément négatif.

On dirait qu’il a attrapé une maladie. Reprise et développement de l'information de la phrase précédente.

Il donne encore mais peu. Description des symptômes, le "encore" montre le peu d'espoir dans le pronostic.

À chaque floraison, Vincent se dit qu’il est temps qu’ils le coupent et le remplacent par un abricotier. Floraison déjà évoquée en première phrase.
Première apparition de Vincent, et introduction du "ils"pluriel qui sous entend d'autres personnages à venir. 


 Bientôt, peut-être. 
Bientôt montre la volonté, peut-être montre qu'elle flanche (très habilement exprimé à mon avis)

Mais pas aujourd’hui. Introduction à la phrase suivante, le cœur de la nouvelle, le piano.




Il attend qu’on vienne chercher le piano.
Le piano, article déterminé, montre son importance pour Vincent et le récit.

  Ils n’ont eu aucun mal à trouver des acquéreurs, il fallait simplement se décider à le mettre en vente.
Maladroite alternance des il/ils, l'aurait mieux valu mettre "il n'a eu aucun mal" pour éviter la confusion.

Beaucoup de il/ils, désignant l'abricotier, Vincent, le couple Vincent Élise et la formule impersonnelle. Me "il" est un deictique qui n'a pas son entière signification en soi, mais se comprend pleinement seulement dans le contexte, et le lecteur doit en permanence chercher à qui / quoi se réfère chaque pronom. 

Exemple de structure différente : le il se réfère à l'amandier, le ils au couple.

Dans le petit jardin, l’amandier n’est plus en très bon état. On dirait qu’il a attrapé une maladie. Il donne encore mais peu. En ce moment il est en fleur. À chaque floraison, Vincent se dit qu’il est temps qu’ils le coupent et le remplacent par un abricotier. Bientôt, peut-être. Mais pas aujourd’hui. Ils attendent qu’on vienne chercher le piano. Ils n’ont eu aucun mal à trouver des acquéreurs, ils devaient simplement se décider à le mettre en vente.

Autre exemple : les premiers il désignent l'amandier, ensuite alternance de il impersonnel et de il/Vincent 

Dans le petit jardin, l’amandier est déjà en fleur. Mais il n’est plus en très bon état. Il donne encore mais peu. On dirait qu’il a attrapé une maladie. À chaque floraison, Vincent se dit qu’il est temps de le couper et le remplacer par un abricotier. Bientôt, peut-être. Mais pas aujourd’hui. Il attend qu’on vienne chercher le piano. Il n'a eu aucun mal à trouver des acquéreurs, il fallait simplement se décider à le mettre en vente.

J'aime beaucoup le compartiment secret.


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Je suis toujours bluffée par le niveau de détail et la justesse de tes commentaires ! Chapeau bas ! Et la copie sera donc revue... ;-)

Salima Salam aime ce message

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