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Entretien avec Jean-Louis Bailly, Auteur de Les Mains propres

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24102024
Entretien avec Jean-Louis Bailly, Auteur de Les Mains propres

Entretien avec


Jean-Louis Bailly,

Auteur de

Les Mains propres
 
 


Étude d'un style et ses figures 

entre rigueur lexicale

et souplesse syntaxique 

 
 






Salima Salam interview Jean-Louis Bailly  Fotora11




Nom Jean-Louis Bailly 
 
Année de naissance 1953
 
Profession Professeur de lettres à la retraite
 
Genres littéraires Romans et formes courtes
  


 
 
J'ai lu « du Bailly » pour la première fois il y a 26 ans, dans la cour du lycée, plongée dans l'action et fascinée par les personnages, entendant alors peu de choses aux finesses de la littérature. Pourtant, au-delà de l'histoire, quelque chose m'avait touchée. C'était quelque chose qui m'avait fait pressentir que « Bailly » était bien plus qu'un bon prof, bien plus qu'un auteur, que c'était un Écrivain.


 
Aujourd'hui, penchée sur Les Mains propres, je tâcherai par les moyens de l'analyse linguistique de mettre en évidence l'art et la magie de ce style.



 
 
 
– Présentation –


 
Salima Salam : Jean-Louis, c'est un plaisir de vous recevoir sur le Bastringue littéraire.


 
Helléniste, latiniste, pataphysicien, écrivain, professeur de lettres à Nantes, né en 1953, vous êtes aujourd’hui retraité de l’Éducation nationale. Ce bagage présage, pour qui ne vous a pas déjà lu, de votre style riche, précis et joueur. Que faut-il connaître encore sur vous ?


 
Jean-Louis Bailly : Pas grand-chose, sans doute ! Vous avez en quelques mots dit l’essentiel, qui tourne autour d’un métier – que j’ai beaucoup aimé, et jusqu’au bout, mais qui appartient maintenant au passé – et de l’écriture qui, dans une vie sans histoire, aura été ma part d’aventure. J’ajouterai seulement que, ces dernières années, j’ai eu l’occasion d’écrire pour le théâtre, dans le cadre d’une petite salle nantaise. Expérience particulièrement excitante que de voir un texte écrit, comme toujours, dans le silence, s’incarner peu à peu au fil des répétitions…


 
Salima Salam : Parlez-nous de votre histoire avec le Collège de ‘Pataphysique, et vos fonctions actuelles dans cette institution mythique. Des anecdotes ?
 

Jean-Louis Bailly : Le Collège de ’Pataphysique n’est pas une société secrète : il suffit pour en faire partie d’y adhérer en versant une cotisation : son statut officiel est une simple association loi de 1901 ! J’ai adhéré très jeune, à 18 ans je crois. Depuis, je reçois les riches publications du Collège, et j’y collabore parfois, très rarement à dire vrai… Je suis même un de ses « Régents » (le mot est ici pris au sens de « professeur »), et réponds au titre enviable de « Régent de Travaux pratiques de versification holorime et de poésie amphisémique ». Ce qui signifie que j’aime traquer les façons de faire en sorte qu’un même texte puisse prendre plusieurs significations en même temps, et si possible contradictoires. Mais je suis un bien mauvais Régent, très peu actif…


 


« Dans une vie sans histoire, l'écriture aura été ma part d'aventure. »



 
 
– Le travail du romancier –


 
Salima Salam : Vous êtes Écrivain. Je vous cite :


 

« On n'écrirait pas de romans si l’on était satisfait du monde tel qu’il est. Certains le font pour dénoncer, en espérant que leur protestation changera l’ordre des choses, et parfois y parviennent. D’autres réécrivent le monde tel qu’ils le voient et l’analysent, espérant qu’il devienne plus lisible aux yeux de ceux qui voudraient le rendre meilleur (ou s’en rendre maîtres). D’autres, aussi, inventent des univers nouveaux, simplement mécontents des limites que la réalité leur oppose. Certains encore, dont j’aimerais faire partie, se contentent de jeter dans le monde un organisme qui n’y figurait pas, fait de mots et non d’atomes et dont l’étrangeté, la beauté ou la violence s’ajouteront dans une mesure infime à la brutalité, la splendeur ou la bizarrerie que nous y rencontrons chaque jour. »

Jean-Louis Bailly, Les Mains propres

 


Votre description ci-dessus de votre activité d'Écrivain pose avec modestie l'aspect créateur, en l'englobant dans la reconnaissance que la réalité est plus intense. Mais si vous n'espérez pas changer ou expliciter le monde, ou repousser ses limites, de quelle manière l'écriture née de votre insatisfaction comble-t-elle votre manque ?


 
Jean-Louis Bailly : Il y a quelque chose de vertigineux dans la création artistique (pas seulement littéraire), c’est que quelqu’un s’arroge le droit d’ajouter quelque chose au monde tel qu’il l’a trouvé. Le seul fait d’écrire (ou de peindre etc.) ajoute quelque chose au monde, avant même d’en espérer un quelconque effet. Certains auteurs tentent, effectivement, de changer le monde par leur engagement : quand Victor Hugo combat la peine de mort ou Césaire le colonialisme, ils assignent à l’art une fonction effective. Mais quand Baudelaire nous montre que même une charogne peut être un objet « poétique », c’est notre regard qu’il modifie, ou qu’il renouvelle : la société ne change pas, les effets du poème ne sont pas mesurables, mais ils sont indubitables. Dans Les Mains propres, je m’empare d’un homme réel, dont la réputation a fait quelque chose comme un saint. Mon personnage (qui n’est pas lui mais lui ressemble) cache une face sombre, et mon roman rappelle que tout personnage est complexe, que nul ne se dévoile jamais dans la totalité de son être… Mon livre a été écrit bien avant que l’on découvre la réalité de l’abbé Pierre… terrible affaire qui ne peut que me confirmer dans cette idée !


 
Salima Salam : Vous êtes en particulier romancier. À ce propos vous écrivez :
  
 

« Je ne suis pas historien, et seuls m'intéressent au fond les écarts entre mon récit et les données avérées ou probables. Dans ces marges minuscules ou vastes comme un gros mensonge, mes personnages trouvent l'air que tout héros de roman doit respirer pour vivre un peu : ils respirent comme je mens. »

Jean-Louis Bailly, L'Ombre de Théophile



 
Le mensonge n'est pas moral. Pourtant, il semble que voilà la matière dont sont issus vos romans. De façon générale, les considérations d'amoralité ne freinent pas votre plume, car vous thématisez volontiers les côtés sombres de la nature humaine. Comment réussissez-vous, émotionnellement et intellectuellement, à ne pas céder devant la crainte que les travers des personnages soient attribués par le lecteur à une éventuelle perversion de l'auteur ?


 
Jean-Louis Bailly : Je relis cette citation que j’avais oubliée. Je pense que j’étais tout content de la fin, qui retourne l’expression « il ment comme il respire »… Mais enfin, je suis toujours d’accord avec l’idée : un roman fondé sur une personne réelle doit être autre chose qu’une biographie. Donc, il faut « mentir », le recréer, transformer une personne en personnage. Je ne l’ai fait que deux fois, avec le poète Théophile de Viau et Jean-Henri Fabre. Dans le premier cas, j’ai prêté à Théophile des vers qu’il n’a jamais écrits, dans le second j’ai supposé à mon personnage des pulsions meurtrières : l’un n’est pas plus grave que l’autre, aux yeux du romancier…


 
La fin de votre question est malicieuse et fort intéressante. Peut-on raconter la vie d’un meurtrier sans être soupçonné d’avoir soi-même des désirs de meurtre, d’un pervers sans l’être soi-même ? Le personnage des Mains propres tue sa femme, ou plutôt la fait mourir de chagrin en la soumettant à une indifférence absolue. Ma démarche a été ici purement abstraite : j’ai voulu suggérer que l’indifférence peut tuer. Je n’éprouve absolument pas le désir de tuer ma femme ! Mais je ne nie pas qu’il y ait un plaisir à se mettre dans la peau d’un meurtrier : on ne risque rien, et d’une certaine façon on peut dire que tous les crimes d’un romancier sont des crimes parfaits. Plus généralement, écrire la vie d’un personnage héroïque alors qu’on ne l’est pas, ou d’un personnage répugnant alors qu’on essaie de ne pas l’être, c’est au fond la même chose : on explore ses potentialités. Je ne sais pas dans quelle mesure un auteur peut être totalement étranger aux personnages qu’il décrit, il y met forcément quelque chose de son propre caractère : quel genre de meurtrier serais-je si j’étais un meurtrier ? J’ai écrit jadis la vie d’un professeur horriblement chahuté, ce qui n’était pas mon cas, et qui enlève un de ses élèves : si on écrit avec ses rêves, on crée un personnage héroïque, avec ses cauchemars on invente un personnage trouble ou répugnant.


 
Salima Salam : Imposez-vous des limites à votre liberté d'écrire ?


 
Jean-Louis Bailly : Pour être très sincère, je crois que oui, je m’auto-censure souvent, essentiellement quand je crains que ce que j’écris soit de nature à blesser des amis, ma famille, des proches. Est-ce de la lâcheté ? Sans doute un peu. Mais les limites que je m’impose en permanence, personne ne s’en rend compte : éviter les hiatus, par exemple, supprimer un alexandrin qui se serait glissé dans une phrase, ne pas céder à un effet de rythme trop facile, ne pas employer deux fois un mot rare dans le même livre, etc. Ce sont des contraintes dont le but est de passer inaperçues…


 


« Écrire la vie d’un personnage héroïque alors qu’on ne l’est pas, ou d’un personnage répugnant alors qu’on essaie de ne pas l’être, c’est au fond la même chose : on explore ses potentialités. »




 
Salima Salam : Petite curiosité personnelle : dans quelles conditions matérielles écrivez-vous ? Assis à votre PC ? Sur des feuillets en pleine nature ? Encre ou graphite ? En diurne, entre chien et loup, quand tous les chats sont gris, à l'aurore aux doigts de rose ? En combien de temps avez-vous écrit Les Mains propres ? Quelles sont les proportions de recherches préalables et relecture-réécriture-retouche ? Avez-vous besoin de stimulants, telles caféine, théine, théobromine ?


 
Jean-Louis Bailly : Ah ! Que j’aimerais vous répondre que j’écris en plein cœur de la nuit, près de l’armoire à pharmacie, et debout jusqu’à ce que mes jambes tétanisent ! Mais non, j’écris en principe à l’ordinateur, tellement plus pratique pour relire, retoucher, etc. Mais je peux écrire n’importe où, au stylo, dans un café par exemple ce qui est une excellente méthode : si votre « voix » intérieure, la voix que l’on entend dans l’écriture, est plus forte que le brouhaha qui vous entoure, c’est bon signe. J’ai parfois écrit ainsi. Parfois aussi, j’écrivais au stylo les passages a priori difficiles, ou qui me paraissaient tels, et à l’ordinateur les pages qui s’annonçaient moins périlleuses. Cette méthode me semble aujourd’hui risquée : il ne doit pas y avoir de pages « faciles », ce sont au contraire celles qui doivent être le plus soigneusement travaillées pour éviter la platitude. Aujourd’hui, j’écris presque tout directement au clavier.


 
Mes recherches sont limitées à ce que l’écriture exige. J’admire beaucoup Flaubert, mais je suis son opposé sur ce plan (pardon de me comparer !) Ici, j’ai lu des centaines de pages de Jean-Henri Fabre, mais ce ne sont pas des recherches, plutôt du plaisir. Pour Théophile de Viau, je me suis appuyé sur des recherches faites du temps de mes études en fac. Pour Vers la poussière, j’ai lu un livre de médecine légale car je devais décrire la décomposition d’un cadavre. Mais je ne dépasse pas, en principe, ce que le récit exige et la documentation est surtout utile comme stimulant, plus que comme façon d’éviter des erreurs factuelles – même si cela compte aussi. Un exemple. Quand je lisais mon manuel de médecine légale, j’ai vu que les insectes qui se succèdent au festin macabre sont nommés des « cohortes » ; ce mot, dont j’ignorais l’emploi en ce sens, a été le point de départ de métaphores militaires qui ont joué sur la tonalité du passage.


 
Quant aux relectures, elles sont innombrables et méticuleuses. Je crois pouvoir dire que c’est l’essentiel de ce qu’on peut appeler « travail ». Le premier jet est écrit très vite, dans l’élan. Les Mains propres est un livre très court, mais je l’ai écrit sur pas mal de mois, en y revenant de temps en temps, ce qui est inhabituel pour moi. Mais souvent il me faut quelques semaines seulement pour un premier jet, voire quinze jours. C’est ensuite que le travail commence…
 

Salima Salam interview Jean-Louis Bailly  Bailly12




– Le travail sur l'écriture –


 
Salima Salam : Jean-Henri Fabre était un entomologiste ¹ hors du commun. Sa vie et son œuvre (ici une présentation succincte : https://bastringuelitteraire.yoo7.com/t1633-jean-henri-fabre) vous ont inspiré le personnage romancé Anthelme, qui, dans un village de Provence, depuis la seconde moitié de 1800 jusqu'au début de 1900, à force d'observer le monde des insectes, finit par en prendre des traits.


 
Les Mains propres est un tout petit roman, presque une longue nouvelle. Ses chapitres font deux ou trois pages et traitent sans digressions du sujet annoncé dans leurs titres respectifs. Vous écrivez de façon concise ; foin des longues descriptions ; vous apposez des détails qui permettent au lecteur de déduire le caractère du personnage, son niveau d'éducation, sa situation sociale, le contexte général, etc. Cette façon de procéder fait de ce roman hautement psychologique un récit où l'analyse des faits psychiques reste discrète. 


 
Par exemple, le roman est daté dans le septième chapitre (sur 24 au total), puis à nouveau 60 ans plus tard, dans le 22e chapitre. Pourtant le lecteur situait déjà l'action temporellement, par certaines mœurs et tournures de langage (qui dénotent un temps révolu et qui évolue ²), et en particulier par l'évocation des contemporains célèbres de l'époque. 


Une question : pourquoi parlez-vous seulement du « Président », sans le nommer, et pourquoi retenez-vous si longtemps le nom de Darwin en le remplaçant par des épithètes et des périphrases, quand vous n'hésitez pas à appeler par leurs noms La Fontaine, Hugo, Rostand ?


 
Jean-Louis Bailly : Darwin est, pour Jean-Henri Fabre, un personnage quasi-sacré, presque aussi innommable que Dieu dans la tradition hébraïque, voilà sans doute pourquoi j’use de périphrase pour le désigner. Le nom de Poincaré est inutile : c’est le Président, dont la visite dans un petit village est un événement qui aurait été le même quel que soit le titulaire de la fonction.


 
Salima Salam : Avant d'écrire Les Mains propres, vous avez étudié Fabre : l'homme, l'entomologiste, le professeur, l'Écrivain. Il est versé dans le grec et le latin, comme vous, et comme la vôtre, ou davantage peut-être, son écriture « exsude » ces connaissances. Vous avez décrit son inclinaison à omettre les déterminants, influencé qu'il était par la grammaire grecque. Ça a été un plaisir intellectuel pour moi de lire, après vos Mains propres, ses Souvenirs entomologiques, et d'y trouver si fidèlement ce que vous en aviez dit. Au niveau lexical, on retrouve chez lui et chez vous de ces termes peu usités qui soulignent les liens d'intertextualité entre ses Souvenirs entomologiques et vos Mains propres : appendre, exsuder, transsuder, animalcule, obombrer... ³


 
Avec le recul, que vous a apporté l'écriture des Mains propres ? Me comprendrez-vous si je vous dis qu'un peu de « vent et lumière » ⁴ du monde de Fabre se sont insérés dans vos lignes ?


 
Jean-Louis Bailly : Tout d’abord, si, comme vous, quelques lecteurs ont eu la curiosité d’aller lire Fabre après avoir lu mon roman, quel plaisir ! Je sais que vous avez été fâchée que mon livre « salisse » le personnage qui l’inspire (ce qui se conçoit !), il n’en est pas moins un exercice d’admiration, peut-être paradoxal, dans lequel je ne dissimule pas la haute estime que je porte aux Souvenirs entomologiques. Qu’il soit passé entre lui et moi quelque chose de son univers est fort possible, et je suis heureux que vous l’ayez perçu ainsi.


 
Salima Salam : Vous usez de divers styles au long du roman. Naturellement, vos personnages ont chacun leur parler. Celui d'Anthelme est décrit par vous avec l'estime que vous portez à ses facultés et l'amusement que vous inspirent ses manies. Celui de Tête-de-Mouche est commenté avec réprobation par Anthelme. Celui du curé est parsemé de points de suspension et d'images. Celui du docteur est remarquablement neutre. Mais vous usez également de styles différents au cours de la narration. Notamment lorsque, le temps d'un paragraphe, vous posez les « données d'un problème », l'écriture redevient plate, la grammaire s'assagit, plus d'images, plus de fantaisies ; on se croirait dans un manuel de sciences naturelles. 


 
Dans quelle mesure votre écriture dans Les Mains propres a-t-elle été influencée par celle de Fabre ?


 
Jean-Louis Bailly : Votre question donne elle-même une bonne réponse ! Pour faire parler Fabre, ou même le faire penser, je me suis plus ou moins glissé dans sa façon d’écrire, le plus souvent simplement en glissant çà et là une tournure qui lui est familière (le refus de l’article indéfini, par exemple) – ce sont de tout petits signaux, mais qui doivent suffire.


 
Mais je pense avoir atteint l’âge où ma propre écriture présente certains traits de caractères assez forts pour rester elle-même malgré tout. Ce doit être prétentieux de le dire. Disons que c’est plutôt un espoir, de ma part, qu’une constatation.


 
Salima Salam : Revenons à cette concision qui vous caractérise. Vous pratiquez l'exercice depuis longtemps, n'est-ce pas ; il me semble me souvenir que, déjà à la fin du millénaire dernier –déjà !– vous initiiez les membres d'un atelier d'écriture, animé par vous, aux nouvelles brèves sur le modèle de celles de Fénéon. Et lorsqu'un recueil de vos vues condensées sur des brèves d'actualité serait édité chez L'Arbre vengeur, voici ce qu'on pourrait en dire ou en lire :


 
« Le monde désormais tiendra dans sa phrase souveraine aussi serré qu’un café dans sa tasse. »
 

Eric Chevillard, Préface de Nouvelles impassibles, de Jean-Louis Bailly


 


Et sans doute possible, Monsieur Chevillard s'y connaît en formules lapidaires...


 
Alors, jouant sur les ressources grammaticales, vous tracez des figures de style dont la richesse contrebalance l'économie de mots. Vos figures de style préférées ?


 
Jean-Louis Bailly : J’aime bien cette question, car je pense que pour beaucoup de lecteurs et même d’écrivains d’aujourd’hui elle n’aurait guère de sens… Je vais vous donner une seule figure : l’hypallage ! Une hypallage consiste à appliquer à un mot de la phrase une épithète qui devrait l’être à un autre mot. Par exemple, quand on parle de « la plume alerte d’un écrivain », ce n’est pas la plume qui est alerte, c’est l’écrivain et son style. C’est une figure à la fois subtile et puissante. Victor Hugo parle du « marchand accoudé à son comptoir avide », c’est un magnifique exemple, qui fait comprendre que l’avidité du commerçant se communique à tout son univers… Dans un roman récent, dont j’ignore aujourd’hui s’il sera publié, je parle dès la première page de « l’échoppe méticuleuse » d’un horloger, hypallage qui ne sera sûrement pas repérée par les lecteurs, mais qui suggère que rien dans l’échoppe n’est laissé au hasard, que le moindre petit ressort y a sa place. Plus généralement, j’essaie d’être conscient des ressources de la rhétorique, et je cherche à en faire un usage réfléchi. La rhétorique est ma caisse à outils, j’y puise ce dont j’ai besoin…


 
Salima Salam : La ponctuation dans Les Mains propres mériterait à elle seule un long développement. Les virgules encadrant les appositions sont souvent absentes. Les tirets cadratins des dialogues sont absolument absents, les répliques étant signalées par un sobre retour à la ligne. Quel est votre rapport à la ponctuation ?


 
Jean-Louis Bailly : J'ai développé depuis quelques années une sorte d’allergie aux guillemets et aux tirets de dialogue, qui me paraissent briser la coulée de la phrase. Je suis conscient que cela ne facilite pas la lecture, mais comme je souhaite avoir un lecteur en éveil, j’espère qu’il acceptera cette contrainte…


 
Salima Salam : Je ne sais pas analyser l'humour. Je me contenterai de citer ce passage, extrait d'un dialogue entre l'entomologiste Anthelme et le petit villageois Tête-de-Mouche. Rappel : les tirets cadratins sont absents des répliques et remplacés par des retours à la ligne. 
 
 

« Mon père dit qu’il n’ira jamais la voir, parce qu’elle est méchante et que quelquefois c’est celui qui va la trouver qui prend le mauvais sort sur lui.
 
Ton père est un brave homme, Tête-de-Mouche, mais toi qui vas à l’école tu devrais être raisonnable.

Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie, répond Tête-de-Mouche (en substance).

C’est une vraie sorcière, vous savez. Une qui sait ce qu’elle sait, et qui devine le reste. On dit que son regard vous transperce, que vous n’avez même pas besoin de dire pourquoi vous êtes là. Il y a un copain, à l’école, que son cousin a accompagné son père sous la pleine lune »



Puisque j'ai le plaisir d'avoir l'Écrivain au bout de mes questions, j'aurai peut-être une réponse à mes conjectures : qui est la victime de votre trait ? Les petits paysans, formulant en français saugrenu des croyances saugrenues ? Shakespeare, qui n'a pas d'idées substantiellement plus élaborées qu'un petit paysan ? Le lecteur un peu vain, qui aime la tournure théâtrale et se rit de la formulation gauche ? Les sciences tenues en si haute estime de nos jours, et qui pourtant n'expliquent pas tout, ainsi que le rappelle Fabre à Darwin ?
 
Jean-Louis Bailly : Vous avez raison de ne pas analyser l’humour : l’analyser, c’est le détruire. Mais l’essentiel est que vous perceviez la saveur du décalage. J’aime beaucoup le personnage de Tête-de-Mouche, un gamin intelligent et déluré, mais que sa myopie a fait passer pour un idiot. Je ne me moque pas de lui, au contraire, je montre que son intuition n’est pas fondamentalement inférieure à celle de Shakespeare… écrivain que j’admire, évidemment ! Oui, vous avez raison, tout cela peut passer grâce à l’humour, et vous êtes une fine lectrice !


 


« Il s’opère dans ces moments une fusion entre l’auteur et le personnage. »




 
– Construction grammaticale –


 
Salima Salam : Dans Les Mains propres, la grammaire n'est pas classique ni académique. Certaines phrases débutent par une conjonction de coordination. D'autres ne présentent pas le sujet des verbes conjugués. Des parallélismes de construction reviennent fréquemment, mais toujours sertis dans un contexte grammatical nouveau.


 
Prenons trois exemples de constructions originales.


 
1. « C’est ainsi, de temps en temps, jamais l’hiver, rarement passé juillet, à la fin de la nuit. »


 
La phrase ci-dessus se compose d'une proposition minimale, autour d'un verbe d'état de signification limitée à un truisme, puis s'alignent quatre compléments circonstanciels de temps. Il aurait été simple d'écrire : « dix fois par an, au printemps comme en été, à l'aube. » Mais ça n'aurait pas rendu le cheminement des pensées des témoins, les tâtonnements par lesquels ils rassemblent leurs souvenirs pour trouver une règle à ce comportement.


 
2. « Quelques pas encore et il faudrait toquer à la porte, et puis non, les mots lui manqueraient, les idées s’embrouilleraient, mieux valait renoncer et il rebroussait chemin pour se reprendre aussitôt, mais c’est trop bête enfin, puisque je suis là, et au moment de frapper à la porte une autre voix, ce que tu fais est idiot, elle va se moquer, peut-être te punir, et d’une horrible façon, alors tous les muscles du corps se décident à la fuite, la seule perspective de la course essoufflée jusqu’à la maison des parents durcit ses jarrets, il fait demi-tour, s’élance – et se heurte à Celle-là, suscitée d’on ne sait quel ailleurs, et qui sur un nuage de silence s’est transportée jusqu’au garçon pour lui interdire toute retraite. Qu’est-ce que tu me veux, gamin ? (Le gamin ne le vexe pas : il va sur ses quinze ans, mais en paraît douze, moins encore son cœur qui reste parfois celui du presque aveugle que le Vieux a guéri.)


 
Le ton est moins menaçant qu’amusé, mais Tête-de-Mouche ne le perçoit pas, car il ne voit plus, n’entend plus, et son sang ne circule plus.


 
Entre. »


 
La grammaire de l'extrait ci-dessus traduit la grande confusion émotionnelle du personnage Tête-de-Mouche. Le solécisme ⁵ et l'ellipse ⁶ y dominent, les temps s'y désaccordent (présent du conditionnel, imparfait, présent, futur proche, passé composé), la situation d'énonciation virevolte d'un narrateur omniscient à une focalisation interne, en passant du « il » au « je », puis le locuteur se distancie de lui-même et dans son monologue s'apostrophe avec un « tu ». Cette interminable phrase est suivie de deux plus courtes, où le « plus » est martelé avec une jolie épiphore,⁷ enfin d'une plus courte encore : la seule injonction « entre » qui annihile toute possibilité de retour en arrière.


 
3. « Car voilà, alors qu’il racontait, en des pages enthousiastes, la dernière mue de la larve du criquet cendré, une lumière délivrée des fonds les plus sombres de son être l’a frappé : voilà qu’il avait tout. Le point où frapper, le poison, la seringue. Tout l’attirail avec cela, la recette, la méthode, tout. »


 
Dans cet extrait, nous retrouvons un bel exemplaire d’hypallage, dont vous parliez un peu plus haut : « des pages enthousiastes ». La lumière des fonds sombres est un double oxymore ⁸ : la lumière n'est pas émise par l'obscurité, et les fonds sont habituellement éclairés par une lumière venue de la surface, non l'inverse. Suit un parallélisme de construction présentant chaque élément du plan, ordonné et mis en lumière, avec la répétition de « tout » en antépiphore ⁹, qui scelle l'énumération et le destin de la victime.


 
De manière générale, il me semble que l'écriture, dans ce roman, n'est pas utilisée pour faire une description objective de faits observés de l'extérieur, mais à l'inverse, elle paraît née des émotions et remous internes de chaque personnage et se meut en suivant leur gré.


 
Parlez-nous, je vous prie, de la naissance de vos personnages romancés et, en particulier, de la construction de leur profil psychologique ? Vous identifiez-vous à eux au moment de les coucher sur papier ? Vivez-vous en eux ou bien eux en vous ?


 
Jean-Louis Bailly : Vous citez des passages (notamment la course effrénée de Tête-de-Mouche) dans lesquels l’écriture s’affole pour transcrire l’affolement du personnage. Oui, c’est exactement ce que vous dites, il s’opère dans ces moments une fusion entre l’auteur et le personnage : si je ne m’identifie pas au personnage dans des moments comme celui-ci, comment le lecteur pourrait-il partager ce que le personnage ressent ? Donc, je vis en lui, il vit en moi, les deux sont vrais. Mais attention : il faut que l’auteur reste maître de son affaire, et ne se laisse pas « embarquer » lui-même ; l’emballement de la syntaxe doit rester maîtrisé, l’auteur tient les rênes ! Pour tout vous avouer, j’adore ces moments-là, cette fusion dont vous parlez. Ce doit être ce bonheur d’écrire que je recherche, au fond, en espérant qu’il en passera quelque chose chez le lecteur.
 
 
  Salima Salam interview Jean-Louis Bailly  Logo-a11

  
– L'éditeur –


 
Salima Salam : Pour terminer cette discussion, n'omettons pas d'évoquer un acteur très important dans la vie d'un écrivain. Avec les Éditions de L'Arbre vengeur, maison créée en 2003, manifestant un intérêt pour la littérature courte de type recueil de nouvelles ou de drabbles¹⁰, vous semblez avoir trouvé un partenaire de confiance. Je les sais exigeants sur la qualité, leurs couvertures sont leur marque de fabrique. J'en profite pour glisser un compliment sur celle des Mains propres. Parlez-nous de L'Arbre vengeur...


 
Jean-Louis Bailly : Le dessin de couverture des Mains propres est une photo que j’ai faite d’une illustration des Souvenirs entomologiques dans la grande édition de 1924 qui me vient de ma famille : la finesse des gravures est telle que l’agrandissement ne pose aucun problème.


 
L’Arbre Vengeur est une maison qui vient de fêter ses vingt ans, et qui tient le coup contre vents et marées. Ses publications se partagent entre auteurs vivants et rééditions d’œuvres plus ou moins oubliées. On y aime le fantastique, la science-fiction, l’humour parfois dérangeant, les textes « décalés » d’une façon ou d’une autre. La qualité du catalogue a poussé des auteurs renommés à le rejoindre, Éric Chevillard, mais aussi Claro, Franz Bartelt, Jean-Marc Aubert, Marie Ndiaye et bien d’autres. Je suis bien sûr heureux d’un tel voisinage. David Vincent tient sa maison à bout de bras, avec son complice Nicolas Étienne chargé des illustrations, des maquettes… David est doté, comme on dit, d’un fort caractère… Il publie chaque année depuis 17 ans le recueil des textes brefs d’Éric Chevillard, publiés quotidiennement dans son merveilleux blog L’Autofictif¹¹. C’est, me semble-t-il, Éric Chevillard qui lui a signalé mes « nouvelles en trois lignes » à la manière de Fénéon, et je suis ainsi entré en contact avec David, qui a publié six livres de moi : je ne saurais lui en avoir trop de reconnaissance !


 
Salima Salam : Jean-Louis, si vous voulez mettre l'accent sur un aspect qui a échappé à cet échange, évoquer quelque chose qui vous tient à cœur, déposer un haïku, ou parler du beau temps et du triste monde, le dernier mot vous appartient...


 
Jean-Louis Bailly : Nous partirons du principe que nous avons déjà suffisamment abusé de la patience de vos lecteurs, si toutefois certains nous ont suivis jusqu’au bout… Je suis très heureux de voir à travers vous que, parmi mes anciens élèves, il en est qui sont restés les esprits alertes, curieux et subtils que je devinais déjà quand j’étais devant eux en cours, et je vous remercie de cette belle occasions d’échange !


 
Salima Salam : Je vous remercie pour votre confiance et souhaite une longue vie à votre petit dernier, Le Détachement, au dire des critiques : une petite merveille.


 
 
 
***


Entretien réalisé le 20 octobre 2024 


par Salima Salam pour le Bastringue littéraire¹². 


































Où trouver le livre :


 
Les Mains propres, aux éditions L'Arbre vengeur, 2021


https://www.arbre-vengeur.fr/?p=6854


 
Bibliographie :


 
L'Année de la bulle (Robert Laffont, 1989)


La Dispersion des cendres (Robert Laffont, 1990)


Les Spongieux (Régine Deforges, 1992)


L’Ombre de Théophile (Belfond, 1994)


Le Festin de l’anémone (Le Comptoir, 1996)


Le Potache est servi (Liv’éditions, 2001)


Nouvelles impassibles (L'Arbre vengeur, 2009)


Vers la poussière (L'Arbre vengeur, 2010)


Un divertissement (Louise Bottu, 2013)


Mathusalem sur le fil (L'Arbre vengeur, 2013)


La Chanson du Mal-aimant (Louise Bottu, 2014)


Une grosse (L'Arbre vengeur, 2015)


Les Mains propres (L'Arbre vengeur, 2021)


Le Détachement (L'Arbre vengeur, 2024)


Notes :
 

Entomologiste ¹ : naturaliste spécialisé dans l'étude des insectes. La particularité de Jean-Henri Fabre a été d'étudier le comportement et la psychologie des insectes, (tout à fait inédit à son époque où l'on se contentait de les nomenclaturer), puis d'avoir vulgarisé ses nouvelles connaissances dans des ouvrages qui ont connu un énorme succès, notamment dans des manuels scolaires.


 
Mœurs d'un temps qui évolue ² : il y a à ce propos deux événements qui ont bouleversé la carrière de Fabre, et qui sont évoqués dans Les Mains propres. En 1870, il est accusé de subversion pour avoir enseigné la reproduction des fleurs devant des jeunes filles. Il en perd emploi, pension et logement. Mais les temps changent, à partir de 1884 on lui reproche son excès de religiosité et son manque de laïcisme, ses manuels sont retirés des programmes scolaires et il en perd une grande part de ses maigres ressources. 


 
Appendre, exsuder, transsuder, animalcule, obombrer... ³ : la signification de ces mots se laisse facilement déduire de par leur étymologie, mais remarquons quelle précision l'ajout de suffixes apporte à la racine, ce que ne manque pas d'observer Jean-Louis Bailly dans Les Mains propres.


 
« Vent et lumière » ⁴ : l'expression est tirée de l'extrait suivant : « Or il y en a un qui sait, lui, ce qu’est une cigale, et qui sait la chanter dans la langue admirable qui se parle là-bas. Un patois disait-on plein de mépris : bien plutôt la langue des dieux grecs et latins qui n’ont jamais vraiment cédé la place et se sont réfugiés dans les images et les sonorités de son ami Frederi Mistral, le premier des félibres. Et Anthelme tente l’impossible : traduire dans l’idiome officiel ces poèmes de vent et de lumière. » Jean-Louis Bailly, Les Mains propres.


 
Solécisme ⁵ : figure de style consistant à inclure délibérément des erreurs de construction grammaticale.


 
Ellipse ⁶ : figure de style consistant à omettre certains éléments grammaticaux, sans tomber dans la faute de français.


 
Épiphore ⁷ : figure de style consistant en la récurrence (au moins trois occurrences) rythmée d'un élément au sein d'une unité grammaticale. 


 
Oxymore ⁸ : figure de style consistant en l'union de deux idées qui, a priori, s'excluent mutuellement. 


 
Antépiphore ⁹ : figure de style consistant en la récurrence d'un élément en début et fin d'une unité grammaticale (proposition, phrase, paragraphe, texte, etc.)


 
Drabble ¹⁰ : Le drabble est une fiction littéraire comptant, titre excepté, exactement cent mots. Tous les thèmes et les genres peuvent s'y contorsionner, et généralement la chute scelle le texte d'une saillie qui reste en mémoire. Cette forme d'écriture, brève comme un jet de pierre, requiert, sur la voie elliptique du poète, la maîtrise de l'artisan et la virtuosité de l'artiste. Tout y est poussé à l'extrême, de sorte qu'un bon drabble fait oublier sa concision par l'étendue des images qu'il évoque.


 
L’Autofictif ¹¹ : blog d’Eric Chevillard, http://autofictif.blogspot.com/?m=1 


 
Le Bastringue littéraire ¹² : site littéraire, https://bastringuelitteraire.yoo7.com/




Dernière édition par Salima Salam le Mar 29 Oct - 15:58, édité 6 fois

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Virtus verborum amo.

DédéModé et malcio aiment ce message

Commentaires

Salima Salam
Je voudrais réagir ici, ce que j'avais évité pendant l'entretien pour ne pas le teinter d'une note trop personnelle. 
 
Cette question sur les limites que vous vous imposez, et sur la possibilité de traiter des sujets les plus sombres ou les plus sensibles, je me la pose souvent, sur moi et sur les autres. 
 
Un auteur se livre incroyablement, même dans une fiction, et parfois sans même s'en douter, ou bien sans que son lecteur le réalise. Alors le livre est une porte entrouverte vers l'intérieur de l'écrivain. Enfin, c'est ce qu'il me semble, et je trouve l'idée inconfortable. 
 
Il me vient juste en tête l'exemple de Hergé, qu'un psy avait analysé à travers ses bd de Tintin, et puis, lorsque psy et Hergé s'étaient rencontrés, l'analyse s'était révélée juste. 
 
Donc je trouve votre position sur la question très saine, et, partant, libératrice.
Salima Salam
@Thierry Lazert

Merci pour votre lecture attentive et vos remarques. J'ai remis en règle les citations. C'est une contrainte de taille, ces histoires de mise en page, il n'y a pas sur internet les facilités d'un programme de traitement de texte, et il faut jongler pour obtenir un résultat correct.
Ici, malheureusement, j'ai dû supprimer les [...] de mes citations partielles, parce que le programme comprenait ces crochets comme du langage html et réagissait comme un fou. 

Je vous enverrai le pdf, où vous trouverez chaque virgule à sa place.

Thierry Lazert aime ce message

DédéModé
C'est en fin, que revient l'épiphore, Patronne ! (y en a un qui suit !)
Félicitations, quand même ! C'est du travail ! et du beau ! et intéressant !
(sinon y a les parenthèses, pour y mettre les points de suspension)

Content d'avoir fait votre connaissance, Monsieur Bailly !
Au plaisir de vous lire...

Remarque : Jean Teulé, avec quatre de nos plus grands Poëtes, a procédé de la même manière que vous avec Théophile, sauf que sa marge à lui était moins large, si je ne m'abuse.

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
@DédéModé

Voici la phrase à analyser :
"Le ton est moins menaçant qu’amusé, mais Tête-de-Mouche ne le perçoit pas, car il ne voit plus, n’entend plus, et son sang ne circule plus."

J'ai cherché longtemps quelle figure correspondrait à cette récurrence des "plus". Finalement, je me suis décidée pour l'epiphore, que j'ai définie comme ça :

Figure de style consistant en la récurrence (au moins trois occurrences) rythmée d'un élément au sein d'une unité grammaticale. 

Je m'appuie sur la définition de Wikipédia https://fr.m.wikipedia.org/wiki/%C3%89piphore

Je peux corriger ma définition par "en fin d'une unité grammaticale".

Ça vous arrange ?
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C'est la justesse qui m'arrange, et je ne suis pas sûr qu'on puisse qualifier d'épiphore cette répétition ; il y manque à mon avis l'effet rhétorique ou poétique qui lui sont habituellement liés. Ici, l'insistance n'est que le moyen d'exprimer une perte totale de repères.
Salima Salam
Hmm. Je corrigerai ma définition, je lui mettrai "en fin".


Ensuite, pour l'effet rhétorique ou poétique, je ne suis pas sûre que vous ayez raison. Voyez plutôt :


Le Littré :
"Terme de grammaire. Répétition par laquelle un mot ou plusieurs mots reviennent à la fin de chacun des membres d'une période."
https://www.littre.org/definition/%C3%A9piphore


Wikipedia dit : 
"Comme l'anaphore, l'épiphore peut être utilisée par tous les genres littéraires."
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/%C3%89piphore


Le Robert dit :
"Une épiphore est la répétition ou la reprise d'un ou plusieurs mots en fin de groupe de mots, de propositions, de phrases, de paragraphes, de vers ou de strophes afin d'insister sur une idée ou de rythmer un énoncé."
https://dictionnaire.lerobert.com/guide/epiphore


D'après ces définitions, on peut utiliser l'épiphore dans tout type de texte. Le Robert parle "d'insister sur une idée". Le passage n'est pas du discours direct, mais truffé d'autres figures de styles que je n'ai pas évoquées et qui convergent pour, comme vous dites, "exprimer la perte de repères". Bien sûr qur le sang circule encore, c'est juste façon de parler. Mais c'est le narrateur omniscient qui parle ! Et qui veut attraper le lecteur par les tripes ! Donc convaincre. 


Donc pour l'instant je trouve que ces trois "plus" sont une épiphore. 

DédéModé aime ce message

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