À mon réveil, j’étais déjà réveillé puisque je me tenais là, debout en face de moi, souriant bêtement, accoutré d’un costume bizarre et tenant à la main un sac en plastique Kiabi.
— Tiens ! C’est moi ? fis-je.
Mon sourire idiot s’élargit et je clignai malicieusement de l’œil à mon adresse.
— Qui veux-je que ce soit ? répliquai-je, avant d’ajouter, sur le ton de la confidence : Je viens DU FUTUR.
— Vraiment ? fis-je, intéressé.
Je me redressai dans mon lit pour m’examiner de plus près, et vis que j’avais, en effet, les rides du visage bien plus accusées que d’habitude et les tempes complètement blanches sous ma drôle de casquette.
— Dans ce cas, je tombe bien. Il y a une chose que je vais peut-être pouvoir me dire.
— Je m’écoute, fis-je obligeamment.
— Est-ce qu’elle... ? chuchotai-je en indiquant du pouce le tas de draps informe qui ronflait comme un sourd à mes côtés.
— ... va continuer à m’envoyer paître matin après matin, au lieu de me servir mon petit café, comme toute bonne épouse qui se respecte ? terminai-je à ma place. Alors là, mon vieux, je ne voudrais pas me décevoir, mais je ferais mieux d’abandonner toute espérance. Et j’ajouterai qu’elle va également continuer à me tromper impudemment.
— Avec ce crétin de Jean-Gérard ?
— Avec Jean-Gérard, avec le vieux du cinquième étage, avec plusieurs postiers contractuels (séparément), avec une créature arachnoïde venue de la planète Mars, avec deux policiers en service, dont un bègue, avec un bataillon de chasseurs alpins (le 24ème) égaré en forêt de Fontainebleau, et j’en oublie sûrement car elle ne me dit pas tout.
— La chienne putride ! lâchai-je.
— Je ne me le fais pas dire, renchéris-je. Mon pauvre ! Si je savais ! Elle n’a pas fini de m’en faire voir.
— Du genre ?
À ces mots, je secouai négativement la tête et finis par répondre, visiblement embarrassé :
— Euh, désolé, mais je ne peux rien me révéler de concret : ça risquerait de provoquer tout un tas de paradoxes temporels, je comprends ?
— Bon, fis-je en haussant les épaules. En tout cas, je me remercie pour ma franchise.
— Pas de quoi.
— À propos, qu’est-ce qui m’amène, au juste ?
Je me frappai violemment le front et mon sourire revint.
— Hé hé ! J’ai vu le costume ? m’exclamai-je en écartant les bras.
C’était une sorte de vieux bleu de travail sur lequel étaient collées un peu partout (et n’importe comment) des centaines de plumes de pigeon. Je tournai la tête pour me faire voir celles fixées aussi au sommet de ma casquette et qui me faisaient comme une huppe.
À vrai dire, ce soi-disant costume me parut proprement minable, mais, ne voulant pas me faire de peine, je me composai une mine appréciatrice pour répondre :
— Très joli. C’est moi qui l’ai fait ?
— Affirmatif ! plastronnai-je. Je suis bien content qu’il me plaise. J’ai le même pour moi.
Et je tirai de mon sac en plastique un second déguisement d’oiseau, tout aussi navrant que celui que je portais. J’échangeai un long regard réciproque. Puis, comme il me semblait percevoir chez moi une pointe d’hésitation, une ombre de doute, un soupçon d’incrédulité, je fronçai les sourcils et m’adjurai vigoureusement :
— Il faut que je le mette ! C’est absolument nécessaire pour se rendre là où je m’emmène.
— Et peut-on savoir où je m’emmène ? demandai-je en me levant, résigné, pour ôter mon pyjama et revêtir le harnachement ridicule que je me tendais avec tant d’insistance désespérée.
— Hé hé ! Ça, c’est une surprise ! clignai-je malicieusement de l’œil. Mais je vais voir que je ne le regretterai pas. Tout ce que je peux me dire, c’est qu’il s’agit d’un truc époustouflant qui pourrait changer la face de l’univers.
— Je m’en dirai tant ! Dans ces conditions, je n’hésite plus, annonçai-je en enfilant mon costume d’oiseau, dont quelques plumes se détachèrent pour flotter paresseusement jusqu’à la descente de lit.
Une fois équipé, je me dirigeai vers la porte, mais je me retins pas le bras en disant :
— Pas par là ! Je connais un raccourci.
Sur quoi j’ouvris la fenêtre, écartai les volets, m’élançai en un sublime saut de l’ange... et m’écrasai l’instant d’après sur le trottoir, douze mètres plus bas.
Je restai un long moment à contempler, mélancolique, les dernières plumes qui, voletant de-ci, de-là, finissaient leur chute sans se presser. Puis je refermai la fenêtre, ôtai le costume et me recouchai près de ma femme, qui avait cessé de ronfler et marmonnait quelque chose au sujet de son ami Jean-Gérard (ce porc).
Du comportement de mon moi futur, qui gisait à présent sur l’asphalte, baigné par les premiers rayons d’un chatoyant soleil de printemps, je pouvais inférer sans difficulté que j’allais, à un moment donné, sombrer dans la folie... Mais quand exactement ?
J’avais oublié de me le demander.
Bella de Vnirfou aime ce message
Salima SalamJeu 19 Jan - 12:06