En mon commencement est ma fin.

Nombreuses sont les pierres du chemin, les années de ma vie.
Le petit garçon de Halle est le frère aîné du vieil aveugle de Londres.
Entre eux se glissent, les séparant, des apparences d'hommes. Temps
de vie, répétés à l'infini, ils ne sont que voix. Chaque fois que l'un se tait, 
un autre reprend son chant. Immortelle, interminable, la phrase continue 
son déploiement. Comme elle, l'oiseau monte toujours plus haut; il se perd
dans le soleil qui aveugle. Je ne cesse pourtant de le regarder. Car sa voix, 
au-dessus de toutes les autres, reste si présente que je ne sais plus qui 
chante, de l'oiseau ou de moi.
Les hommes, qui me séparent de l'enfant, ressemblent de plus en plus à
mon image solennelle, noble vieillard triomphant et vaincu, lourd, trop lourd. 
J'attends en vain qu'on vienne me chercher pour ma promenade. Embusqué 
derrière les yeux vides, le souvenir ne lâche pas prise : clapotis des fontaines, 
chaleur du soleil sur les murs des palais, poussière, rires et cris, et le jardin 
plein d'ombre d'où l'on voyait le grand dôme impérieux.
Tout ce qui est, est bon. A côté de moi, la main de l'enfant dans la mienne.
L'enfant qui court sur la route pour changer quelque chose à sa destinée, l'enfant
qui rattrape la voiture, l'enfant qui naît à la musique et de qui naît la musique,
l'enfant est là, qui ne bouge plus, écrasé sous sa perruque trop lourde, vieil enfant
aveugle.
Qui est aveugle, sinon mon serviteur, dit le Seigneur. Un aveugle, il faut le conduire
par la main, il ne peut choisir son chemin. Mais moi, je marche encore où je veux.
Je chante encore pour ces enfants perdus, ces Enfants Trouvés. Moi l'aveugle,
je connais ma lumière. Personne ne peut m'enfermer, moi le Voyant.

Jean-François Labie ("George Frédéric Haendel")

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