Les applaudissements crépitent, dans le cabaret montmartrois, à la fin de la chanson
"Le temps des cerises". Jean Baptiste Clément, l'auteur du poème, a une pensée pour
Antoine Renard, qui n'est plus de ce monde -dix ans déjà qu'il nous a quittés-, ce cher
Antoine qui mit les vers en musique et créa la chanson sur la scène de l'Eldorado, un
soir de 1868. Qu'elle est belle, sa mélodie. Toute simple mais si émouvante. Et puis,
comme chaque fois qu'il entend ces couplets, Clément revoit le visage de la jeune
fille au panier d'osier. Elle se prénommait Louise. Elle avait une vingtaine d'années,
guère plus. C'était le 28 mai 1871. S'il s'en souvient ! La Commune vivait ses toutes
dernières heures. Elle est venue se joindre à eux sur la barricade, rue de la Fontaine-
au-Roi. Il y avait Eugène Varlin, Théophile Ferré, Eugène Gambon et quelques autres.
Ils lui conseillèrent de partir, l'assaut allait être donné, mais elle resta. Et quand il fal-
lut transporter les blessés, elle s'improvisa ambulancière, la brave petite. Qu'est-elle
devenue ? A-t-elle péri lors de cet ultime combat, dans l'explosion de la barricade ?
L'ont-ils capturée puis fusillée ainsi que tant d'autres ? Nul ne le sait. Jean Baptiste
se plaît à penser qu'elle a pu, comme lui, échapper au massacre. Elle serait trente-
naire, à présent. Il aime l'imaginer vivante et se dire qu'un jour, peut-être, elle saura
qu'il lui a dédié "Le temps des cerises", cette romance désormais liée au souvenir
de la Commune de Paris.
"...C'est de ce temps-là
Que je garde au cœur
Une plaie ouverte..."
Clément a lui aussi une plaie au cœur, depuis ce temps où bien des camarades sont
morts, pour un beau rêve de liberté qui aura fleuri si peu de jours. Et il garde aussi en
mémoire, à jamais, l'image d'une jeune ouvrière pleine de courage allant, au péril de
sa vie, secourir des blessés sur une barricade.
Salima SalamMar 23 Mai - 16:39