Les Tongs
On est tous posés sur nos pieds ; entre eux et le sol souvent il y a une semelle qui s'intègre dans un ensemble plus vaste ayant pour petit nom mocassin, sneaker, basket, chausson, charentaise, chaussure de ville, ballerine, sabot, etc. Les chaussures, c'est important, ça vous pose son homme, ça vous donne des ampoules, du style ou des senteurs fromagères. Et quand on en a une bonne paire, on voudrait qu'elle dure.
Moi par exemple, j'adore les tongs pour la maison, non pas celles pour cinq euros qu'on jette à la fin de l'été après qu'elles nous aient scié dans l'épiderme des encoches qui resteront cornées et rouges jusqu'à la Toussaint, mais celles de luxe qui ont une semelle soulignant la voûte plantaire et dessinant la place de chaque orteil avec pour fixation une bande de tissu épais, solide et souple. Vous voyez desquelles je parle ? Donc vous savez qu'elles se situent entre les trente et soixante euros. C'est très cher naturellement, bien trop pour les jeter après deux, trois, voire quatre ans.
Le glas des quatre ans avait sonné pour les miennes, ces fidèles compagnes qui m'avaient portée d'une pièce à l'autre, entre rez-de-chaussée et toit, dans les joies et les malheurs. La première avait claqué au point faible des tongs : là où la ficelle précipitée entre les orteils disparaît dans la semelle.
Ne pouvant me résoudre à les jeter, je les avais rangées avec les autres chaussures encore en fonction. Quand, après quelques semaines, ma paire de remplacement à cinq euros était partie en live, j'avais repris et contemplé tristement mes chères tongs inutiles.
Alors mon petit Arc-en-ciel s'était assis à côté de moi, avec son sourire de drôle de petite, et m'avait dit : "répare-les !" Non, non, j'avais dit, c'est comme le balai de Harry Potter, elles sont au stade où ça ne se répare plus. "Tu peux les coudre !" Mais non, je ne peux pas, mon fil à couture n'est pas assez épais pour faire tenir un pied et une chaussure ensemble. "Tu peux les coller ! Je te donne mon tube de colle." Hélas, il faudrait de la colle forte au moins, et même celle-là ne m'aiderait pas à recoller cette corde déchiquetée dans la semelle. "Tu dois changer la corde alors !" Vas-tu te taire mon cœur ?
Pourtant l'idée faisait déjà son chemin. Une fois coupé le tronçon de corde qui passe entre les orteils pour ne garder que la bande qui barre le pied dans sa largeur, je l'ai remplacé par un bout de ficelle récupéré sur un vieux colis que j'ai passé à travers la semelle maintenant percée, fait un gros nœud par en dessous que j'ai soudé en quelque-chose de plat à l'aide d'un briquet. Le résultat était grandiose. Quand peu après la deuxième a lâché, je connaissais la procédure. Mes vieilles compagnes vont aujourd'hui sur leurs six ans, parfois je leur remplace la ficelle en pensant avec nostalgie à celles que je n'aurais pas eu besoin de jeter par le passé si seulement...
Salima Salam aime ce message
Ninn' AMar 3 Oct - 4:28