C'était en juin 1967, à Conflans-Sainte-Honorine,
lors de la fête foraine qui accompagnait en ce
temps-là le Pardon de la Batellerie. Je l'ai reconnu
tout de suite, pensez ! Je l'avais vu quelques mois
plus tôt à la télé dans le feuilleton "Les corsaires".
Il incarnait Louba, le fidèle second du héros, que
jouait Michel Le Royer, ce beau gosse vedette du
petit écran des sixties ("D'Artagnan", "Le chevalier
de Maison-Rouge"). Même que j'avais acheté le
45 tours de François Deguelt, qui interprétait la
chanson du générique :
"Dans le temps,
Ils partaient sur la mer,
Dans le vent,
Ils vivaient, les corsaires..."
D'accord, le texte est plat comme une mer d'huile,
mais à douze piges, un rien nous ravit. J'ai dit à mon
père : "C'est Louba !"
Louba portait un costume bleu, marine évidemment,
et entre deux autographes il piochait dans un cornet
de frites. Christian Barbier tournait une scène de "L'
homme du "Picardie"", feuilleton qui allait cartonner
à l'automne 68. Dans le rôle du marinier Joseph
Durtol, il accéderait à la popularité. Sur sa lancée, il
serait bientôt un gendre de Gabin dans le film "La
Horse", et Le Bison, résistant de "L'armée des ombres",
aux côtés de Signoret et Ventura. Mais pour la plupart,
il resterait Durtol du "Picardie". Le rôle de sa carrière.
Les mariniers arrêtaient leurs péniches à l'heure, pour
pas manquer le nouvel épisode.
Moi aussi, je voulais un autographe ! Il nous manquait
juste un bout de papier. Par bonheur, ma grand-mère
gardait dans son sac à main une carte souvenir de ma
communion solennelle, un an avant. À l'intérieur, il y
avait une photo, mais le dos était vierge, ça ferait l'affaire !
Pendant que je tendais, intimidé, la carte à Barbier, papa
lui a dit : "Il vous a admiré, dans votre feuilleton." "Ha,
"Les corsaires"..." a répondu l'acteur. Et avant de signer,
il a écrit : "Amical souvenir à Jean-Luc de Louba".
Hé hé ! Plutôt cocasse, l'association flibustier-premier
communiant. Sûr qu'un mot du Révérend Père Truc ou
de Monseigneur Bidule aurait été plus convenable !
N'empêche, je l'ai toujours, la carte. Elle est dans une
de ces vieilles boîtes à biscuits où dorment pêle-mêle
les photos de familles jaunies par le temps.
Et trois ans plus tard, pas loin de là, de l'autre côté de la
Seine, sur un quai près des sablières, devinez qui j'ai vu !
Gabin himself ! Le tournage en cours : "Le drapeau noir
flotte sur la marmite". Gabin avec sa casquette de marin
et ses rouflaquettes. C'était aux grandes vacances. Je
venais d'amarrer la péniche de l'oncle Henri. Je suis allé
voir. Gabin attendait dans une voiture le moment de jouer.
J'étais le seul spectateur. Je suis resté le temps d'une prise.
Gabin a longé le quai en donnant la paluche au petit Éric
Damain, Jacquou le Croquant d'un autre feuilleton culte.
J'ignore si on a gardé la scène au montage, j'ai pas vu le
film. Et j'ai pas d'autographe de Gabin : son air renfrogné
décourageait l'approche.
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Salima SalamMer 10 Jan - 16:57