Le Bastringue Littéraire
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11012024
Normal

Ce jour-là, je me suis réveillé avec, sur l’oreiller, l’impression que ce serait une journée normale. Assez tôt dans la matinée, j’ai eu l’idée que peut-être Amnesty International, à qui je ne pouvais plus envoyer d’argent, avait besoin de bénévoles. Je les ai appelés et, effectivement, ils acceptaient volontiers de l’aide pour le tri du courrier ou d’autres tâches administratives. J’ai enfilé vite fait mes Converse montantes jaunes et j’ai préparé un petit sac. J’ai laissé un mot à mes parents et je suis parti. De la maison à la départementale, il y a une petite vingtaine de minutes. Après, j’ai suivi la départementale jusqu’à la hauteur de l’aire d’autoroute. Là, j’ai enjambé le fossé pour me retrouver derrière le restaurant (où j’avais travaillé en été quand j’étais au lycée : je m’étais acheté ma première guitare avec le salaire). Le restaurant, mais surtout la station-service. J’ai pris la direction de la bretelle d’accès à l’autoroute et puis après ça s’est joué à l’intuition, au flair, au pif. C’est qu’il faut trouver l’endroit optimal pour tendre le pouce. Trop près de la station, vous passez pour un mendiant qui force la main, trop loin, les voitures vont déjà trop vite pour s’embêter à freiner. Une fois que j’ai trouvé l’endroit qui m’allait, j’ai sorti mon carton et mon marqueur et j’ai pris mon temps pour faire ce que j’adore : écrire PARIS en grosses lettres contourées que je remplis ensuite en hachuré. Il est important que le conducteur n’ait d’emblée aucun doute sur ce qu’il lit, et il est encore plus important que je sois sûr d’avoir ainsi mis toutes les chances de mon côté. Ça permet d’attendre en toute sérénité.
 
J’ai dû attendre une petite demi-heure. Une Ami 6 s’est arrêtée, le conducteur m’a dit qu’il n’allait que jusqu’à Lyon. Ça n’était que 15km, mais quels 15km ! Après, à Lyon, l’entrée du tunnel de Fourvière ne poserait pas trop de problèmes. J’ai bien aimé le moment passé avec le gars de l’Ami 6, un soixante-huitard architecte en urbanisme. J’en ai profité pour lui demander pourquoi les bancs publics étaient toujours moches. C’est que pour faire du beau, il faut d’une part y réfléchir un minimum, et d’autre part mettre tous les décideurs d’accord. Et tout ça demande du temps, et donc de l’argent. En y repensant, je me demande si c’est bien lui qui était architecte en urbanisme ou pas plutôt le conducteur de la belle Lancia sur un Paris-Lyon ? Bref, le gentil soixante-huitard me dépose en plein centre de Lyon et je file au tunnel de Fourvière. Là, pas besoin de réfléchir, il n’y a qu’un endroit possible pour tendre le pouce et tenir son carton. J’attends. Quand on fait du stop, il y a des voitures dont on est soulagé qu’elles ne s’arrêtent pas. Pour d’autres, on est très déçu. On se fabrique des espoirs très facilement et très vite. Entre le moment où l’on voit la voiture de loin et celui où elle vous passe sous le nez, vous avez eu, curieusement, tout le temps d’échafauder d’incroyables chimères que la réalité écrabouille en un clin d’œil. C’est là, à l’entrée du tunnel de Fourvière, que j’ai revu mon oreiller. La journée normale. Pour l’instant tout était bel et bien normal. J’ai espéré que ça durerait. Je ne pensais même plus au voyage quand une voiture s’est arrêtée. Une jeune dame qui allait à Mâcon. Ça m’avançait, je suis monté. Dedans, ça sentait le chien mouillé, une odeur très humaine, je trouvais. J’ai voulu entamer une conversation là-dessus mais j’ai vite senti qu’il ne fallait pas mélanger les chiens et les humains, même si « on les aimait beaucoup ». Je n’ai pas eu l’audace de lui demander si elle pensait aux chiens ou aux humains et j’ai vite cherché un autre sujet.
 
Arrivée à la dernière station-service avant Mâcon, la jeune dame m’a déposé et souhaité bonne chance. Elle a repris l’autoroute et j’ai ressorti mon carton. Moins de cinq minutes après, un gros camion s’est arrêté. Il allait à Paris, bingo ! Très rapidement, le routier s’est révélé être anglais et j’ai béni ma mère de m’avoir fait apprendre l’anglais très jeune. Le gars était de bonne humeur, de cette humeur qui se passe de radio et de cassettes audio.
 
Le voyage a duré quelques heures que je n’ai pas vues passer.
 
Paris. Il était 14h15, un sandwich dans un café allait me faire du bien. Amnesty International, Rue de la Pierre-Levée. Mon plan, le métro et j’y étais. On m’a ouvert.
 
–      Bonjour, je vous ai appelé ce matin pour le bénévolat. On m’a parlé de tri du courrier, de tâches administratives…
–      Ouiii, bonjour et merci d’être là ! a fait la dame aux grosses lunettes. « Je vais vous installer à un bureau et vous expliquer ».
 
Elle m’a installé, en effet, et m’a expliqué. Tout ce courrier reçu, c’était, pour la plupart, des chèques de donateurs. Il fallait reporter sur un grand cahier les noms des donateurs, s’ils étaient adhérents ou pas, et les sommes reçues. Au bout de deux heures, j’ai repensé à l’oreiller. Tout était normal. À 17h30, la dame m’a dit que certaines personnes partaient maintenant, que d’autres restaient un peu plus tard, et que j’étais libre de partir ou rester. Je lui ai dit que je partais et que je reviendrais le lendemain matin. Elle m’a remercié. Ça m’a fait drôle d’être remercié sachant que j’allais revenir.
 
J’ai dormi à l’Auberge de Jeunesse.
 
Le lendemain matin, je suis retourné chez Amnesty. Dans la matinée, j’ai traité le chèque d’un écrivain très connu : ça me l’a rendu d’un seul coup très réel. Un chèque. Quoi de plus dégueulasse qu’un chèque ? On lui donne la valeur qu’on veut, on signe, et l’entourloupe est jouée.
 
À midi, avec d’autres bénévoles, tous bien plus âgés que moi, nous avons mangé ensemble au troquet du coin. J’ai vite compris à leurs discussions que nous n’avions pas du tout les mêmes références. Ils parlaient de guerre d’Algérie. J’étais là sans y être. Et pendant que j’étais là sans y être, j’ai pensé à ce que me coûterait ce repas, et au prochain repas, et à la prochaine nuit à l’Auberge. Je me suis dit que si je n’avais pas eu ces frais, j’aurais pu faire un don d’autant à Amnesty.
 
Mais je n’étais pas mécontent de mon choix. J’avais depuis longtemps voulu faire du bénévolat pour Amnesty, et si je ne le faisais que pendant un jour et demi, quelle importance ?
 
J’ai donc passé ma deuxième nuit à l’Auberge, après quoi, sur le matin, j’ai rejoint la Porte d’Italie en métro. Ici comme à Fourvière, on n’a guère le choix de l’endroit où se poster. J’ai sorti mon carton et au revers de « PARIS », je me suis appliqué à indiquer, en lettres contourées et hachurées, « LYON ».
 
Vers 18h00, je suis arrivé chez moi, pas mal fatigué par le voyage : je me suis allongé sur mon lit et ai dormi tout de suite. Quand je me suis réveillé, il était presque 22h00. J’ai tourné ma tête contre l’oreiller. Tout était normal, tout allait bien.

Salima Salam, DédéModé et Jihelka aiment ce message

Commentaires

Jihelka
Je suppose que c'est un oreiller tout ce qu'il y a de normal.
Prends-en soin. Tant que t'as ton oreiller, tu sais où taie.

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Thierry Lazert
JLK, je suis très client de tes jeux de mots :)))

Jihelka aime ce message

Salima Salam
Le titre, c'est de la provocation ? Vous avez un sourire en coin en écrivant ?
Thierry Lazert
@Salima Salam

Sourire en coin, un peu, mais pas tant que ça, si je compare cet épisode à d’autres marqués par « l’Anomalie » (par exemple le « vélo » du texte précédent)

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Normal, cher Thierry, c'est l'écrivain célèbre et son chèque. Bon, la célébrité c'est pas trop normal, mais le chèque... Le chèque ! 
Allez, en toute exclusivité, vous révélez son identité ? Je suis sûre que je le connaîtrai pas, mais que Jihelka sortira une anecdote inattendue sur lui.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
La déontologie, chère Salima, m’interdit de révéler l’identité de l’écrivain. D’ailleurs (rions  un peu), qui vous dit que mon texte n’est pas 100% fiction ? Qu’il y a un écrivain ? Hein ? :))

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Alors là, vous me clouez le bec. Je n'ai pas envisagé un huitième de seconde la fiction. Ok, mettons que ça puisse être une fiction. Mais de quelle déontologie parlez-vous ? De celle d'écrivain ? Vous vous sentez solidaire avec lui, cet écrivain fictif ? Ah, attendez, j'y suis, allongez-vous sur le canapé, merci, cet écrivain c'est celui que vous auriez aimé devenir : M. Durant-Machin, c'est votre moi refoulé, donc fiction, non, pas vraiment, c'est de la psyction, c'est le connard que vous rêvez de devenir. Mais il n'est pas trop tard, signez un chèque et le tour est joué !

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Hahaha ! La déontologie, c’est celle fu bénévole qui a accès à des données personnelles telles que le fait que telle personne a adressé un chèque de tel montant à telle ONG. De solidarité d’écrivain, point. J’aime bien votre néologisme psyction. Je pourrai le replacer, dites ?

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Oui, replacez s'il vous plaît. Vous me l"avez inspiré, il nous appartient donc fifty fifty..  Vous avez totalement plongé dans la peau de ce connard avorté, avec le coup de sa deontologie, et sa normalisé anormale, c'est fou ça. Et il suffisait juste de digner un chèque... Et le montant ? Elle dit quoi la deontologie sur la révélation du montant ?

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Connard avorté… j’ai évoqué la possibilité d’une fiction, mais  rien n’est moins sûr. Et je me demande pourquoi il faudrait qu’il soit un connard avorté. Hein ?? Et puis alors pour le montant, vous pensez bien que j’ai oublié !

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Cher Auteur, vous me confondez avec vos perspectives changeantes, j'avais cru que le locuteur n'était pas un connard, et qu'il aimait particulièrement la normalité, et il m'avait semblé que le plus normal dans ce récit de psyction peut-être réel était le connard d'écrivain, j'avais alors pensé que le narrateur pourrait devenir réellement normal en signant son petit chèque lui aussi, ce sui l'aurait fait devenir un petit connard à ses propres yeux, mais puisqu'il renonce au chèque il avorte une belle carrière de connard. Voili voilà, 

Oublié, oublié, ça s'oublie des montants de chèques d'écrivain ? Vous étiez sur le point d'avoir une vraiment bonne story pour la presse poeple, maintenant, désolée, ça ne fait plus que de la littérature.

Thierry Lazert aime ce message

Ninn' A
finalement, qu'est ce qui est important dans cette histoire, les Converse jaunes montantes qui ont permis l'aventure, non ? :-)

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Salima Salam
Ah les Converse, j'ai beaucoup aimé le détail. Alors mettons que tout le reste soit une fiction, je parierai que ces Converse ont vraiment existé.

Thierry Lazert aime ce message

Ninn' A
un vélo rouge, des Converses jaunes, la première guitare (quelle couleur, Thierry ?) achetée avec le salaire du restau de la station service, attendons de lire quel sera le prochain détail

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Thierry Lazert
@Salima Salam

Ben voilà. Suffit d’expliquer.

@Ninn' A

Acajou, la guitare.

:)))

Salima Salam aime ce message

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