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Le couloir

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31102023
Le couloir

Le couloir n’est pas méchant même si je sens les vestiges d’une peur récente remplir l’espace. Je commence à connaître par cœur ce couloir, son lino vert marbré – un vert pas frais – et les murs et le plafond peints en crème pâle. La hauteur du plafond est étonnante (la bâtisse doit dater des années 1930), je ne m’y habitue pas. D’ailleurs, j’ai beau le connaître par cœur, ce réseau
 
pourquoi réseau ? je ne parle pas de réseau, je parle de couloir
 
J’ai beau le connaître par cœur, ce couloir, j’y découvre toujours des sensations étranges. Pas de façon continue, mais par tranches. Tranche d’inquiétude. Tranche d’impatience. Tranche de jouissance. Tranche de vacuité. Tranche de surexistence.
 
Et les portes.
 
Ah, les portes ! Les portes sont d’un marron clair diarrhée qui dit toute la misère qui se vit derrière elles. Ces portes de chambres, car ce sont des portes de chambres, sont éternellement fermées, c’est désespérant. Ce n’est pas qu’on soit curieux, mais de temps en temps, une porte qui s’ouvre, ça fait du bien. Alors oui, pour être honnête, il arrive, rarement, qu’une porte s’ouvre et que sorte de sa chambre un « absent ». Il ou elle parcourt son bout de chemin jusqu’à moi puis plus loin. L’escalier. Qui mène au parc. Ou au réfectoire. Aux cuisines. Moi je reste dans mon couloir qui, pour l’instant, me rassure. Comme deux et deux, quatre, ou la couverture du Petit Prince. Mais on ne se nourrit pas de deux et deux, quatre ni de la couverture du Petit Prince. Il faut sortir un jour. En attendant, je suis ici. Qu’est-ce que j’ai ? Pourquoi est-ce que je suis ici ? De mon plein gré. Ça y est. Ça me revient. Le mal. Que je me fais. Je suis ici pour me protéger de moi-même. Saloperie d’esprit qui trop souvent m’emprisonne, me piège, et fait de moi son jouet. Et je me fais du mal. Pris au piège. Mais là ? Dans ce couloir, là ? Je suis bien, non ? Oui. Alors ? Pourquoi est-ce que ça ne dure pas ? La condition humaine. Ce que l’humanité endure. Et moi et ma propre condition, au milieu, …  On n’a que ça : penser à pire que sa propre condition. Affaire classée.
 
Le couloir se réveille : l’infirmière de l’autre jour, celle qui m’a accueilli à mon arrivée, apparaît. Elle m’est sympathique avec ses cheveux noirs très courts et dans sa voix, toujours, un sourire. Elle m’annonce de loin que c’est l’heure du goûter au réfectoire. Ce n’est pas de sa faute si c’est infantilisant, ce goûter de l’après-midi, non, bien sûr. Je n’avais qu’à pas être ici, m’arranger mieux avec ma vie. Toujours est-il que quel que soit mon choix, aller ou pas au goûter, il y en a un de prévu pour moi. Je n’irai pas, malgré tout, comme si je résistais.
 
Et puis je suis trop bien dans mon couloir, à n’avoir peur de rien, je savoure, je savoure, et l’absence de peur prend tout le volume du couloir, avec toute sa hauteur de plafond, c’est quelque chose. Je dévore des yeux tout cet espace qui me laisse tranquille, qui ne m’inquiète pas : un instant extatique. Je sais que ça ne durera pas, ça ne dure jamais, alors j’en profite, autant que possible. Je ne me rends même pas compte de ma solitude. Pourtant elle devrait m’être évidente, mais non, je suis seul et rien ni personne ne me manque. Mon âme est trop occupée à être en paix pour en demander plus, ce doit être quelque chose comme ça. C’est à ce moment de mon errance d’idée en idée qu’arrive Éric.
 
Éric est un jeune homme d’à peu près mon âge, la vingtaine. Il arrive par l’escalier qui vient du parc. Nous échangeons quelques banalités, juste assez pour comprendre qu’on peut se marrer ensemble. Et se marrer, on ne va pas s’en priver. De l’espace fini de ce couloir plein d’une épaisseur existentielle touffue, nous faisons un terrain de jeu, ni plus, ni moins. Amorces de sketches improvisés, absurdité à tous les étages, nous nous mettons à rire aux éclats, nous découvrons le bonheur d’une complicité aussi intense que fugace, et il m’offre, heureux, sa casquette, et je lui offre, heureux, ma montre et nous faisons les imbéciles, joyeux, pendant quelques dizaines de minutes. Acteurs et spectateurs d’un théâtre burlesque et déstructuré, nous jouons de notre infortune commune : on accommode les restes. Et puis, insensiblement, tranquillement, le calme revient. Le sien, le mien, le calme.
 
Éric retourne au parc ou dans sa chambre et je reste dans le couloir, pensif, profondément heureux. Le couloir a gagné une étoile. Je contemple le firmament. Il est bientôt l’heure de passer à table.





Édit 1: sur conseil de JLK, j’ai enlevé “au sol” dans “lino vert marbré au sol”


Dernière édition par Thierry Lazert le Jeu 2 Nov - 22:14, édité 1 fois

Salima Salam, Jihelka et Marquise aiment ce message

Commentaires

Marquise
Il y a quelque chose de Dino Buzzati dans sa façon de traiter avec légèreté la gravité dans ses observations du prosaïque et de Vitold Gombrowicz pour l’inter-humain dans cette nouvelle que je teinterai avec audace de néo-réalisme. J’aurais peut-être aimé une fin plus amère, mais là, c’est mon côté délectation morose qui s’exprime. Bref, j’ai beaucoup aimé.

Merci Thierry.  

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
@Marquise

Merci pour ce commentaire circonstancié dont je ne connais pas toutes les références (Vitold Gombrowicz) et dans lequel je repère une expertise certaine, en tout cas que je n’ai pas moi-même. Merci Marquise.

Marquise aime ce message

Thierry Lazert
« une expertise certaine, en tout cas que je n’ai pas moi-même »
Zut de zut de zut !! Je viens de faire un chleuasme ! Encore un ! Je vous jure, M’dame, j’ai pas fait exprès !
Marquise
Ne vous en faites pas, mon petit, quand j'aurai du temps, je vous ferai un petit topo sur existentialisme et le surréalisme dans la littérature européenne du XXeme siècle. Des trucs avec lesquels vous pourrez épater les filles.^^

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Voilà des mots qui me font baver d’envie !

Marquise aime ce message

Salima Salam
J'aime beaucoup cette phrase : "Mon âme est trop occupée à être en paix pour en demander plus." Elle me semble très très juste. Elle touche à un des grands mystères de la nature humaine : l'insatisfaction, la quête, l'envie. Sur ce, je vous remercie, et je vous laisse pour aller offrir un peu de paix à mon âme. Bonne nuit.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
@Salima Salam

J’espère que votre âme a eu son content de paix !

Salima Salam aime ce message

Jihelka
Je ne vois rien à reprocher à ce texte. C'est déprimant.
La critique, c'est bon quand ça flingue. À notre époque,
faut pas être gentil. Faut ruer, faut mordre, sans quoi
on passe pour un con. Où est passée ma mauvaise foi ?
Pourtant, je relis, je cherche la petite bête, l'endroit où je
pourrais m'écrier : "Faute ! Haaa ! je te tiens, Lazert !
Ton compte est bon !" Mais je reste bredouille. C'est
pas possible, il doit bien y avoir matière à chicaner.
J'ai dû lire trop vite, j'ai loupé des trucs. Ou bien alors,
mes facultés déclinent. Quoi ? Je serais diminué ? Non,
je peux pas croire ça. Je vais relire. Je vais la dénicher,
la petite bête. Elle doit être planquée sous un meuble
ou derrière un rideau. Allez, mes lunettes-loupes, ma
bombe insecticide. À la chasse !

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Thierry Lazert
@Jihelka 

Mon âme de paranoïaque traque, elle, le trait qui pique chez Jihelka :))

Jihelka aime ce message

DédéModé
C'est vrai qu'il est bon, l'animal ! mais on le savait déjà.
Bon, je me joins à la traque... Ça va débusquer sec...
DédéModé
Ah ! il m'a pas fallu longtemps : 2ème ligne...
Thierry Lazert
@DédéModé 

Figurez-vous que j’arrive, entre chleuasme et paranoïa, à ne plus savoir ce qui est déprimant : mon texte ou avoir à le critiquer ?
DédéModé
Je ne vois rien de déprimant, Thierry : d'autres se chargent de le critiquer et peu importent les circonstances dans lesquelles on trouve la sérénité, ni le temps qu'elle durera, la vie n'étant qu'une succession d'instants dont il nous appartient de tirer le meilleur.

Merci de m'avoir appris le nom de ce procédé rhétorique.

Thierry Lazert aime ce message



Dernière édition par DédéModé le Mer 1 Nov - 20:22, édité 1 fois
Thierry Lazert
@DédéModé

Mais je ne vous apprends rien, Dédé, c’est Salima qui s’est chargée de me l’apprendre ily a quelques jours, je me contente de relayer !

DédéModé aime ce message

DédéModé
J'en ai trouvé une autre en cinquième ligne, puis plus rien...

Thierry Lazert aime ce message

Jihelka
Y'a une troisième erreur !
Je sais pas où, mais c'est sûr, y'en a une...

Thierry Lazert aime ce message

Salima Salam
Oui tout à fait, jamais 2 sans 3.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
@DédéModé

5e ligne, ça m’aide pas beaucoup : nos textes s’affichent différemment selon nos ordinateurs et nos smartphones…
Marquise
Je n'ai pas vu d'erreur flagrantes.

Thierry Lazert aime ce message

DédéModé
1. son lino vert marbré au sol
2. j'y découvre toujours des sensations étranges.
3. ?
Marquise
Ces phrases sont tout à fait correctes :-)

Thierry Lazert aime ce message

DédéModé
Apprenez, Damoizelle, que le linoleum étant un revêtement de sol, on ne saurait le trouver ailleurs que par terre, et qu'un couloir ne saurait éprouver de sensations.
Marquise
Je connais le linoleum et la phrase est grammaticalement correct, ce n'est pas un problème qu'il soit décrit au sol et une aide pour le lecteur qui se demanderait ce qu'est ce lino. Ensuite, ce n'est pas le couloir qui éprouve les sensations mais le narrateur lol

Thierry Lazert aime ce message

Jihelka
Le Baron Dédé est demandé au post "Les Belles-lettres" de Salima.
Thierry Lazert
Merci Marquise.

Des lecteurs – jeunes, surtout – pourraient se demander ce qu’est le lino d’une part, et d’autre part, il arrive qu’on le trouve en revêtement mural.

Et puis : « j’y découvre des sensations étranges », comme le dit Marquise, la lecture naturelle est que le narrateur découvre, là, des sensations étranges (les siennes) mais une autre lecture possible, la vôtre, vu la nature des lieux et la spécificité des résidents serait que le narrateur confère au couloir des sensations étranges, je vous assure que c’est très possible.

Je tiens à vous remercier de votre intérêt pour ce texte qui est important pour moi.

Salima Salam et DédéModé aiment ce message

Jihelka
Pour le lino, il suffit d'enlever "au sol" et c'est réglé.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Texte modifié, enlevé “au sol”

Jihelka aime ce message

Jihelka
Et comm' disait Popol,
Qu'était ancien catcheur :
"Lino, pour l'mettre au sol, 
Y faut s'lever d'bonne heure."

Salima Salam, DédéModé et Thierry Lazert aiment ce message

Marquise
De rien, Thierry.
Comme je l’ai écrit, c’est un texte d’une qualité qu’on ne rencontre pas tous les jours et je le dis sans courbette ni flagornerie car je suis plutôt exigeante avec l’exercice de la micronouvelle !

Thierry Lazert aime ce message

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