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Le cardiologue, le patient et la destinée

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29022024
Le cardiologue, le patient et la destinée

Monsieur et Madame Flavier attendent. La salle d’attente est presque pleine alors ils espèrent que les autres attendent pour un autre médecin. Une porte s’ouvre, l’appel est clair et net :
 
« Monsieur Flavier ? ».
 
Le couple se lève et se dirige lentement vers la porte que tient ouverte le cardiologue. Celui-ci s’adresse à l’épouse sur un ton professionnel, compatissant mais qui ne se discutera pas :
 
« Je vais voir Monsieur dans un premier temps puis je vous appellerai, Madame ».
 
Madame Flavier avait tout prévu sauf ça et la voilà toute décontenancée. Le temps de se retourner, elle a peur de ne plus avoir de siège pour attendre. Tout de même, c’est mon mari, je suis son épouse depuis 42 ans, il est gonflé celui-là ! Une fois assise, elle se penche à gauche, vers sa voisine :
 
   Excusez-moi, Madame, vous connaissez le Dr Piani ?
–  Oui, oui, c’est mon médecin. Mais ne vous fiez pas à une première impression, il reçoit toujours le patient seul la première fois. Je suppose que vous venez pour la première fois ?
– Oui, mon mari a fait un épisode il y a six semaines et il a tout de suite été pris en charge par le Dr Brouwells en ville seulement voilà le Dr Brouwells a fait lui aussi un épisode le week-end dernier sauf que lui il est mort.
– Ah mince ! Ben comme on dit, c’est les cordo —
– …nniers les plus mal chaussés ! C’est ce que j’ai dit à mon mari parce qu’alors là vraiment, hein. 
 
La voisine sent bien qu’elle est censée savoir ce qu’est un « épisode », alors elle ne demandera pas. Peut-être un nouveau nom pour infarctus ? Ça doit être ça, oui. 
 
La porte du Dr Piani s’ouvre.
 
« Madame Flavier ? »
 
Madame Flavier se lève lentement, fière que tout le monde ait vu et entendu qu’un cardiologue avait besoin d’elle alors qu’elle n’est même pas malade. Elle franchit le seuil sacré. Son mari est assis, simplement, et il regarde son épouse d’un air contrarié.
 
Le cardiologue s’assoit derrière son bureau. L’épouse prend place près de son mari.
 
–  Bon, Madame Flavier, bonne nouvelle : les choses avancent dans le bon sens, et même avancent vite, plus vite que ce que les résultats du Dr Brouwells ne me laissaient espérer. Je crois pouvoir dire tranquillement que l’état de Monsieur Flavier ne nécessite pas d’intervention chirurgicale.
– Ah ben ça oui, c’est une bonne nouvelle, merci Docteur…
– Ce n’est pas à moi qu’il faut dire merci. Si votre mari n’avait pas l’hygiène de vie qu’il a, les choses se seraient sûrement passées différemment. Je vais encore voir une fois votre mari dans 15 jours puis je passerai la main à un confrère de l’hôpital, le Dr Tomi, qui est très compétent dans les suivis post-crise.
 
Madame Flavier comprend qu’elle est brusquement dépossédée de quelque chose d’important et de grave. « Suivi post-crise », c’est donc déjà fini ? Elle cherche un réconfort dans le regard de son mari mais ce dernier a compris comme elle qu’ils n’étaient plus les bienvenus ici. D’ailleurs le cardiologue est en train de donner des consignes dans son dictaphone, à une vitesse d’élocution qui rend vain tout espoir de compréhension pour des mortels comme les Flavier. Ah, si, ils comprennent « rendez-vous dans 15 jours ». Le cardiologue s’est déjà levé et les invite à en faire autant et à rejoindre son assistante.
 
Rendez-vous est pris pour le 18.
 
Dans l’ascenseur les Flavier se taisent, regardent leurs pieds ou le grand miroir. Au rez-de-chaussée, il s’agit de retrouver l’auto sur ce parking immense. On la repère, on s’y installe et on démarre.
 
– Rendez-vous pas avant le 18, donc. Faudrait pas que t’aies des complications d’ici là, hein, maintenant que le docteur a rien trouvé.
–   Ben oui, mais t’as entendu, Josy, l’hygiène de vie, hein, ya pas de secret, alors des complications, non, ya pas de raison.
–  Non, ya pas de raison, je sais, Henri, mais on sait jamais, fais attention.
 
* * * * *
 
– Henri ? Où t’as mis la zappette ?
– La zappette, la zappette, tiens, elle est juste là, la zappette, si tu ouvrais un peu les yeux, aussi…
– Hé, c’est pas parce que tu es presque remis que tu peux te permettre d’être désagréable, hein. D’ailleurs c’est pas bon pour le cœur d’être désagréable, je suis sûre.
 
Le fixe sonne. Josy décroche.
 
– Allô ?
– Madame Flavier ?
–  Oui.
– Bonjour Madame, c’est l’assistante du Dr Piani. Votre mari avait rendez-vous avec lui le 18, malheureusement Monsieur Piani a trouvé la mort dans un très grave accident de la route.
– Trouvé la mort ?! Ben décidément !
– Pardon ??
– Je veux dire…quel malheur ! Un homme si…vivant, et…et tout, quoi.
– Que voulez-vous, Madame Flavier, on ne choisit pas le jour et l’heure, ainsi va la vie…
–  Eh oui.
– Eh oui. Je dois vous fixer un nouveau rendez-vous, avec le Dr Tomi.
– Oui, de l’hôpital, celui qui s’occupe des post-crise.
–  C’est cela.
 
Rendez-vous est pris pour le 21.
 
– Dis-donc, Henri, c’est toi qui leur porte la poisse ou quoi ?
– Hein ?
– Le Dr Piani que t’as vu la semaine dernière, ben il a eu un accident, il est mort.
– Mort ??! Ah ben mince alors ! Flûûûte… Le Dr Brouwells, le Dr Piani…
– L’assistante t’a donné rendez-vous avec le Dr Tomi.
–  Ah, d’accord.
 
Jeudi 21.
 
– Bon, Monsieur Flavier, comme vous le savez, je devais vous suivre après une dernière consultation avec le Dr Piani, qui lui-même avait en quelque sorte remplacé le Dr Brouwells.
– Eh oui, c’est ça, exactement.
– Eh oui, c’est ça, exactement, comme vous dites.
Mais parlons plutôt de vous, Monsieur Flavier. Les derniers résultats qu’on vient d’avoir sont vraiment réjouissants, je vous assure.
– Oui ?
– Aaah, oui ! À partir d’aujourd’hui, c’est bien simple, on ne se verra plus que pour des visites routinières, tous les six mois. À moins d’un incident entre-temps, bien sûr.
– Oui, à moins d’un incident entre-temps, bien sûr.

Salima Salam aime ce message

Commentaires

Salima Salam
J'ai apprécié l'"épisode" ! Très comme il faut. J'ai senti moi-même que j'étais censée savoir ce qu'il était, cet épisode, et supposé qu'il était infarctus. Je vous avoue que j'aurais aimé l'avoir écrit, et peut-être vous l'emprunterai-je, à l'occasion. 

Dites, vos chutes, c'est du Lazert ici encore, du mi-figue mi-raisin. D'ailleurs, c'est pas une chute. Je dirais que c'est.... Ah ha ! Vous vous demandez, mais moi-même je me demande, figurez-vous !
10 min plus tard :
J'y suis : votre nouvelle, c'est un instantané (pas une pochade ^^), et la réplique finale, c'est juste le cadre de la photo, qui ne permet pas de voir plus loin, mais on sait bien que leur petite routine continue, monotone monocorde.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Merci pour votre commentaire, Salima, et heureux que cet épisode vous ait plu ( y s’fout d’moi ou koua ? :)) )
La chute, je l’espérais plus claire que vous ne semblez l’avoir vue. Disons que pour moi elle met le focus « là » où il n’est pas censé être.

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Pour revenir sur votre chute, voilà ce que j'y vois :
Le corps de la nouvelle présente un couple pauvre intellectuellement et émotionnellement, atrophié, qui végète épouvantablement. 
Vient l'incident, ce qui est terriblement excitant, enfin la routine est brisée, madame essaie d'en tirer tout le jus possible, de traire la "vache à sensations" jusqu'à la tarir. Voilà que les docteurs clamsent l'un après l'autre, pur bonheur pour elle, jubilation d'avoir tant de matière à ajouter à ses potins, elle se sent exister pleinement, elle se sent enfin vivante, non seulement parce que les autres meurent et elle non, mais aussi parce qu'elle jubile et connaît des pics émotionnels sans précédent. 
L'abjection morale dans toute sa misère, quoi. 

Voilà ce que j'y vois. 

Donc en effet, focus là où il ne devrait.pas être, elle se tape de la guérison de monsieur, limite elle espère une détérioration de son état, et elle espère que le troisième doc parte manger les pissenlits par la racine, et elle se nourrit de la déchéance physique des autres comme un parasite.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Comme vous êtes méchante avec ma Josy ! Bon, elle mérite pas mieux, certes.
Je reste persuadé que ma chute a « raté», qui visait à souligner la possibilité d’un incident plus pour le médecin que pour le patient. Aahrgh, ma chuuute ! :))

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Ah mais oui, j'ai bien compris qu'elle espère l'incident pour le médecin, le pauvre.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Allons bon, pardon d’avoir cru qu’zaviez pas vu :((

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
N'ayez crainte, elle est bien gaulée votre nouvelle.

Thierry Lazert aime ce message

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