Chapitre 2
Le Tube arrive à destination, qui est City 316, la préfecture de la région de l'Ouest, et s'arrête dans un mouvement ouaté. Tous les passagers descendent et le temps de parcourir le sas vitré ont une vue panoramique sur la ville grise dressée aux milieux des brandes, entre fougères et genêts rabougris.
En passant sous l'arc électromagnétique, chacun fait le geste devenu routine de dresser le majeur gauche à hauteur de visage, pour que soit lue la puce et orienté l'usager.
Car oui, c'est en effet dans le majeur gauche que cette puce est implantée, et il y a pour celà d'excellentes raisons. Le doigt médian, de part sa taille et sa forme, est le plus apte à servir d'antenne pour capter les ondes qui lisent, actualisent ou paralysent la puce, et donc le citoyen, car de nos jours l'un ne va plus sans l'autre. Il existe bien quelques dizaines de milliers de sans-puce qui vagabondent dans mes circuits parallèles de la civilisation, mais il paraît qu'ils n'ont plus grand chose d'humain, pas même le rire.
Monick est orienté vers l'Intracity-Tube 89 et, mains moites, atteint enfin le bureau de la Conseillère du Bien-Vieillir. Bureau, il faudrait dire bulle, car il n'y a pas de bureau, de paperasse, de photos sur les murs, de thermos sur le bord de la fenêtre. Il n'y a pas de fenêtre. C'est une bulle, mais l'écran où apparaît habituellement l'interlocuteur est remplacé par un cadre vide derrière lequel se trouve la conseillère en chair et en os. Chair et os, hmm, cela fait bien longtemps déjà, Monick voudrait assez y tâter, voir si ses mains sont encore capables de serrer suffisamment aux alentours de la jugulaire, pour que cette conseillère, comme son prédécesseur, se départisse de son sourire monitoré.
Il lui adresse le salut citoyen : main gauche offrant sa puce en lecture pour permettre l'identification. Alors la conseillère sort de derrière son cadre et se plante devant Monick. C'est fou ce qu'elle a l'air informatisée. Grain de peau pareil à une pellicule de silicone, cheveux lustrés comme dans les publicités, et ce sourire sans vie. C'est une "absorbée Bulle.4", voilà comment le vieux les surnomme. Ils ne vieillissent plus, ne se fatiguent plus, ne tombent plus malades, ces absorbés Bulle.4, à se demander s'ils défèquent encore. Il paraît que oui, puisqu'elle l'engage à s'assoire à une petite table ronde, où apparaissent deux décaféqués - on ne peut plus décemment appeler ça des cafés - et se lance dans un monologue dépassionné sur les raisons de cette convocation.