cadavre exquis n° 2

Tout a commencé quand on m'a dit de prendre la porte. J'avais dix-huit ans. Je me croyais invincible et incroyablement spirituelle. Je l'ai sortie de ses gonds et je l'ai emportée avec moi.

Les autres ne partageaient pas mes vues. J'étais deux rues plus loin, hésitant entre utiliser ma porte comme radeau sur la rivière qui traverse cette charmante ville et l'utiliser comme planche de surf pour descendre les 46 marches du perron de la mairie, quand j'ai entendu la sirène se rapprocher et un panier à salade m'a cueillie pour vandalisme.

Vandalisme, le mot n'est pas trop fort : cette porte, c'était celle de l'église de Camaret où j'étais bonne du curé en intérim. Ce vieux tordu de curé de Camaret aurait bien aimé élargir mes fonctions, que je devienne... disons bonne à tout faire.

J'ai bien fait de partir. Je regrette juste de ne pas lui avoir asséné un grand coup de porte sur la tronche au vieux curé. Quoi que... Je n'aurais sans doute pas eu la force nécessaire. Mais lui casser une chaise sur la tête, ça j'aurais pu !
Je suis partie et je laisse la suivante à la merci de ce cochon. Ca me fait un peu mal au coeur...

Une comptine s'installe dans ma tête pour chasser mes pensées déprimantes :
...Mais la vache savait nager.
Elle remonte à la surface,
S'accroche à une branche
Et se remet à chanter.
Crac, la branche casse.
Plouf, la vache tombe à l'eau.
Mais la vache savait nager...

Je suis sur une chaise au poste et les menottes me font mal. J'attrape maladroitement par la tranche la porte entrouverte, une poussée vers le haut, la sors de ses gonds et la laisse retomber avec fracas sur...

Ah la la... J'aimerais bien oublier cette scène ridicule. Qu'est-ce que j'avais voulu faire au juste ? Assommer le porte-manteau ? Opération réussie ! Il s'écroule avec la porte, les vestes, les casques et les écharpes. Et les flics se marrent. Renfrognée sous ma capeline, je marmonne "et la vache tombe à l'eau... et la vache tombe à l'eau...". Je ne suis pas là.