"Solange, écoute ça et dis-moi c'que t'en penses :
Le jour où pour hosties
On aura les rondelles
D'un bon gros saucisson,
Que de ce vin bénit
On verra les fidèles
Écluser un canon,
À l'heure de la messe,
Solange et son Nénesse
Ne feront plus faux bond.
Alors ?
- C'est chouette ! Et c'est musical. Nénesse, t'es l'Verlaine de Montargis.
- Arrête, tu m'fais rougir.
- Ça s'voit pas, avec ta couperose, hi hi hi !
- C'est malin ! Tiens, et ça :
Quand on voit
Tout c'qu'on voit,
Quand on voit
Dans quelles voies
L'Homme se dévoie,
Dans quelles voies
L'Homme se fourvoie,
On reste sans voix,
Pire, on a des renvois.
- Ouaaaah... C'est profond.
- N'est-ce pas ? J'rejoins la philosophie, là.
- Tu m'épates, Nénesse.
- Et ça, écoute bien, c'est du lourd :
Vous les politicards,
Vous êtes des enflures,
Vous êtes des ordures,
Vous êtes des raclures.
Un beau jour, tôt ou tard,
On va se foutre en rogne,
Et faudra que ça cogne,
C'est écrit dans ma pogne...
- Et ben dis donc, ça c'est envoyé !
- Et c'est que l'début. J'envisage un poème fleuve à la façon d'Victor Hugo,
un truc à faire s'lever les damnés d'la terre. Ça s'appellera "Révolution".
- Dis, Nénesse, tu veux pas m'relire le huitrain qu'tu m'as dédié ?
- Le huitain, pas le huitrain, andouille... Le v'là :
À solange mon ange
À Solange qui m'a sauvé,
Le jour où j'ai fait ce malaise
Pour avoir bu, quel insensé !
La moitié de son Vittel fraise.
C'est sûr, je ne serais plus là,
Sans elle et sa géniale idée
De me faire écluser fissa
Le kil de rouge à sa portée.
- J'suis toujours émue, quand tu m'le lis... Merci, mon amour.
- De rien, ma grosse. Quand j'pense que ton frangin a dénigré mon oeuvre !
"J'en fais autant." qu'il m'a dit ! Ha ! ha ! Tu parles ! Tiens, j'vais t'lire le machin
qu'il a pondu, j'lui ai demandé une photocopie tellement c'est tordant.
Attention, chef-d'œuvre :
Orage
Le ciel rugit à l'horizon.
Il va pleuvoir sur la moisson.
Le paysan, sous sa toiture,
Les yeux cloués sur la nature,
Se dit : "Pourvu que cet orage
Ne foudre pas mon récoltage,
Car je serais dans la panade.
Déjà que Bobonne est malade.
Et le tracteur qu'il perd ses pneux.
Vraiment, si c'est pas malheureux !"
Ainsi gémit notre fermier
Dont sur la plaine il voit trembler
Ses champs de bétail et de blé.
La cloche sonne à plein clocher
De l'angélus qui se lamente
Que la nature est si méchante.
Ha ha ha ! Quelle bouse !
- Bah, c'est pas si mal, pour un cantonnier...
- Attend, j'ai torché un truc à son intention. J'lui lirai dimanche,
puisqu'il nous invite à becter :
À mon beauf Marcel.
Marcel se croit poète,
Mais Marcel n'est qu'un con.
Marcel sera poète
Quand les poules auront des dons
Pour la versification,
Et nous pondront, cod cod codet,
Des poèmes à foison.
Alors, Marcel sera poète.
Et Solange aura des roustons.
- Hi hi hi ! C'est vache mais c'est drôle. Et quand Solange aura des roustons,
Nénesse il aura des nichons, hi hi hi ! Ça rime, en plus !
J'vais p'têt' abandonner le tricot pour me mettre aussi à faire des vers, moi !
- Ouais, et ben finis mon pull d'abord, Louise Labbé.
- Dis, tu vas quand même pas lui lire ton poème dimanche ?
- J'vais m'gêner, tiens !"
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Salima SalamLun 5 Fév - 18:56