J’ai pris ma planche et je suis allé voir Thierry, s’il voulait en faire avec moi. Il a dit ouais et il a pris sa planche et on a commencé à faire des tours sur-place, ça a un nom, en anglais je crois, j’ai oublié, c’est quand on lève l’avant de la planche et qu’on tourne sur soi-même sur les roues arrière. Arrières, non ? Je sais plus. Comme si j’avais su un jour. Enfin, on a commencé à faire des tours, ou plutôt on a essayé de faire un tour, avec rien qu’un tour on était contents.
Thierry il y arrivait un peu mais moi un peu mieux. Des fois avec de la chance j’arrivais à faire un tour et un peu plus. Évidemment c’était toujours quand Thierry me regardait pas. Je savais que c’était pas la peine que je lui dise, il m’aurait dit ouais ouais ouais c’est ça. On arrêtait pas de tourner, et des fois on se cassait un peu la gueule, pas de très haut parce qu’une planche à roulettes c’est pas très haut. Enfin, en tombant en arrière, on pouvait se gameller bien, quand même, oui, c’est le coup classique, ça, la planche qui se barre en avant et les pieds qui suivent mais pas le corps, bien sûr, non le corps il reste derrière, sans ses pieds et il s’étale là où il est. C’est là qu’on améliorait nos « aïe ! ». Mais on passait pas notre temps par terre, non, on faisait quand même surtout des tours.
Et à part ça, ben c’était limité vu que le parking était plat. Alors oui, y avait la grande pente de Félix Potin, mais la descendre en skate ça voulait dire la remonter à pied, tu m’as compris tu m’as. Bref, donc tout ça ça nous prenait du temps, et ça nous le faisait passer, le temps. Et ce jour-là, à un moment, Christian est arrivé avec sa moue de pas content.
Il avait deux expressions, Christian. La moue de pas content ou le petit sourire en coin de celui qui sait et qui dira pas. Là, c’était moue de pas content. Ça voulait pas dire qu’il était pas content, d’ailleurs. Juste qu’il savait rien de plus que nous. Et puis aussi peut-être il avait espéré ne pas nous trouver sur nos planches, vu que lui il en avait pas, de planche. Du coup, on a rangé les skates, Thierry chez lui et moi chez moi, et on s’est demandé ce qu’on allait faire. J’ai proposé un tournoi de ping-pong en y croyant pas du tout parce que Christian savait qu’il allait perdre et que donc il trouverait quelque chose de mieux à faire. Ça a pas raté. Il a proposé un foot, plutôt, au petit stade.
Le petit stade, c’était le terrain de handball de l’école du coin, en bitume, à 5 minutes de là. Alors que le grand stade, c’était un vrai terrain de foot, avec de la pelouse et des buts et des dimensions réglementaires. Mais il fallait marcher un quart d’heure pour y aller. Donc Christian qui proposait un foot au petit stade, ça nous allait bien. J’ai pris le ballon jaune fluo et on y est allés. Arrivés là, y avait du grabuge.
Faut savoir qu’à la Ravinière, y avait une famille, les Queurot, avec un des frères qui avait à peu près notre âge et qui était toujours très énervé et méchant et qui aimait faire peur à tout le monde surtout les plus petits comme nous et il s’appelait Christian, et puis il y avait son frère ainé Gaby, qui était plus petit que lui en taille mais encore plus costaud et surtout gentil et bien moins bête. Et là, quand on est arrivés au terrain de hand, y avait Gaby Queurot qui engueulait Christian Queurot parce qu’il emmerdait encore le monde et comme Christian Queurot continuait de l’ouvrir et de provoquer Gaby Queurot, Gaby Queurot a attrapé à bout de bras une mobylette qui était là, il l’a soulevée au-dessus de sa tête comme un rien et il l’a tout simplement jetée – j’ai encore l’image en tête – sur Christian Queurot qui a eu très mal mais il l’avait bien cherché. Après ce jour, on a plus entendu parler de Christian Queurot. Mais sur le moment, ça faisait quand même drôle sur le petit stade, un peu comme une fin de match alors qu’on avait pas commencé. On a dit merci à Gaby Queurot qui était bien content d’avoir mouché son frère pour un moment et après on a commencé à jouer.
Moi j’étais goal, c’est ce que je faisais le mieux, surtout dans des buts de handball, parce que jouer au foot avec les pieds, je savais pas très bien. Ah, si, j’avais une drôle de particularité, c’est que je pouvais tirer aussi bien du pied gauche que du pied droit, j’étais amphibie des pieds, quoi, et des fois ça pouvait surprendre l’adversaire mais quand même, j’étais surtout goal. On a joué d’abord à trois puis à quatre quand Philippe est arrivé puis à cinq quand Momo est arrivé.
Momo c’était un boat people qui venait du Cambodge comme les autres boat people dont ils parlaient à la télé. Quand la nuit a commencé à tomber, on est rentrés. On avait treize ans et on pensait qu’aux filles mais on parlait de foot, de skate et de hard-rock. Ah oui, le hard-rock, une prochaine fois.
Thierry Lazert aime ce message
Ninn' ALun 26 Fév - 9:59