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La Ravinière

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26022024
La Ravinière

J’ai pris ma planche et je suis allé voir Thierry, s’il voulait en faire avec moi. Il a dit ouais et il a pris sa planche et on a commencé à faire des tours sur-place, ça a un nom, en anglais je crois, j’ai oublié, c’est quand on lève l’avant de la planche et qu’on tourne sur soi-même sur les roues arrière. Arrières, non ? Je sais plus. Comme si j’avais su un jour. Enfin, on a commencé à faire des tours, ou plutôt on a essayé de faire un tour, avec rien qu’un tour on était contents.
  
Thierry il y arrivait un peu mais moi un peu mieux. Des fois avec de la chance j’arrivais à faire un tour et un peu plus. Évidemment c’était toujours quand Thierry me regardait pas. Je savais que c’était pas la peine que je lui dise, il m’aurait dit ouais ouais ouais c’est ça. On arrêtait pas de tourner, et des fois on se cassait un peu la gueule, pas de très haut parce qu’une planche à roulettes c’est pas très haut. Enfin, en tombant en arrière, on pouvait se gameller bien, quand même, oui, c’est le coup classique, ça, la planche qui se barre en avant et les pieds qui suivent mais pas le corps, bien sûr, non le corps il reste derrière, sans ses pieds et il s’étale là où il est. C’est là qu’on améliorait nos « aïe ! ». Mais on passait pas notre temps par terre, non, on faisait quand même surtout des tours.
  
Et à part ça, ben c’était limité vu que le parking était plat. Alors oui, y avait la grande pente de Félix Potin, mais la descendre en skate ça voulait dire la remonter à pied, tu m’as compris tu m’as. Bref, donc tout ça ça nous prenait du temps, et ça nous le faisait passer, le temps. Et ce jour-là, à un moment, Christian est arrivé avec sa moue de pas content.
  
Il avait deux expressions, Christian. La moue de pas content ou le petit sourire en coin de celui qui sait et qui dira pas. Là, c’était moue de pas content. Ça voulait pas dire qu’il était pas content, d’ailleurs. Juste qu’il savait rien de plus que nous. Et puis aussi peut-être il avait espéré ne pas nous trouver sur nos planches, vu que lui il en avait pas, de planche. Du coup, on a rangé les skates, Thierry chez lui et moi chez moi, et on s’est demandé ce qu’on allait faire. J’ai proposé un tournoi de ping-pong en y croyant pas du tout parce que Christian savait qu’il allait perdre et que donc il trouverait quelque chose de mieux à faire. Ça a pas raté. Il a proposé un foot, plutôt, au petit stade.
 
Le petit stade, c’était le terrain de handball de l’école du coin, en bitume, à 5 minutes de là. Alors que le grand stade, c’était un vrai terrain de foot, avec de la pelouse et des buts et des dimensions réglementaires. Mais il fallait marcher un quart d’heure pour y aller. Donc Christian qui proposait un foot au petit stade, ça nous allait bien. J’ai pris le ballon jaune fluo et on y est allés. Arrivés là, y avait du grabuge.
 
Faut savoir qu’à la Ravinière, y avait une famille, les Queurot, avec un des frères qui avait à peu près notre âge et qui était toujours très énervé et méchant et qui aimait faire peur à tout le monde surtout les plus petits comme nous et il s’appelait Christian, et puis il y avait son frère ainé Gaby, qui était plus petit que lui en taille mais encore plus costaud et surtout gentil et bien moins bête. Et là, quand on est arrivés au terrain de hand, y avait Gaby Queurot qui engueulait Christian Queurot parce qu’il emmerdait encore le monde et comme Christian Queurot continuait de l’ouvrir et de provoquer Gaby Queurot, Gaby Queurot a attrapé à bout de bras une mobylette qui était là, il l’a soulevée au-dessus de sa tête comme un rien et il l’a tout simplement jetée – j’ai encore l’image en tête – sur Christian Queurot qui a eu très mal mais il l’avait bien cherché. Après ce jour, on a plus entendu parler de Christian Queurot. Mais sur le moment, ça faisait quand même drôle sur le petit stade, un peu comme une fin de match alors qu’on avait pas commencé. On a dit merci à Gaby Queurot qui était bien content d’avoir mouché son frère pour un moment et après on a commencé à jouer.
  
Moi j’étais goal, c’est ce que je faisais le mieux, surtout dans des buts de handball, parce que jouer au foot avec les pieds, je savais pas très bien. Ah, si, j’avais une drôle de particularité, c’est que je pouvais tirer aussi bien du pied gauche que du pied droit, j’étais amphibie des pieds, quoi, et des fois ça pouvait surprendre l’adversaire mais quand même, j’étais surtout goal. On a joué d’abord à trois puis à quatre quand Philippe est arrivé puis à cinq quand Momo est arrivé.
  
Momo c’était un boat people qui venait du Cambodge comme les autres boat people dont ils parlaient à la télé. Quand la nuit a commencé à tomber, on est rentrés. On avait treize ans et on pensait qu’aux filles mais on parlait de foot, de skate et de hard-rock. Ah oui, le hard-rock, une prochaine fois. 


Dernière édition par Thierry Lazert le Jeu 29 Fév - 23:40, édité 4 fois

Salima Salam, DédéModé et Ninn' A aiment ce message

Commentaires

Ninn' A
t'es sûr de toi pour "amphibie" ?

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
@Ninn' A
Tite blague en passant ;-)
Ninn' A
c'est bien ce que je pensais, d'ailleurs ça m'a fait rire.
je les aime bien tes p'tits gars, bon ok les Queurot sont un peu graves mais bon. les autres gamins restent des gamins de 13 ans avec de vraies occupations/préoccupations de bons gamins qui ne se laissent pas lobotomiser par leurs écrans, et qui accueillent Momo sans aucun problème.

Thierry Lazert aime ce message

Salima Salam
Permettez une citation :


Guy de Maupassant a écrit:
Le plus grand défaut de l'écrivain qui me fait l'honneur de me juger, c'est qu'il n'est pas un critique." Quels sont en effet les caractères essentiels du critique ? Il faut que, sans parti pris, sans opinions préconçues, sans idées d'école, sans attaches avec aucune famille d'artistes, il comprenne, distingue et explique toutes les tendances les plus opposées, les tempéraments les plus contraires, et admette les recherches d'art les plus diverses. 

[...]

Un critique intelligent devrait, au contraire, rechercher tout ce qui ressemble le moins aux romans déjà faits, et pousser autant que possible les jeunes gens à tenter des voies nouvelles. Tous les écrivains, Victor Hugo comme M. Zola, ont réclamé avec persistance le droit absolu, droit indiscutable de composer, c'est-à-dire d'imaginer ou d'observer, suivant leur conception personnelle de l'art. Le talent provient de l'originalité, qui est une manière spéciale de penser, de voir, de comprendre et de juger. Or, le critique qui prétend définir le Roman suivant l'idée qu'il s'en fait d'après les romans qu'il aime, et établir certaines règles invariables de composition, luttera toujours contre un tempérament d'artiste apportant une manière nouvelle. Un critique, qui mériterait absolument ce nom, ne devrait être qu'un analyste sans tendances, sans préférences, sans passions, et, comme un expert en tableaux, n'apprécier que la valeur artiste de l'objet d'art qu'on lui soumet. Sa compréhension, ouverte à tout, doit absorber assez complètement sa personnalité pour qu'il puisse découvrir et vanter les livres mêmes qu'il n'aime pas comme homme et qu'il doit comprendre comme juge. Mais la plupart des critiques ne sont, en somme, que des lecteurs, d'où il résulte qu'ils nous gourmandent presque toujours à faux ou qu'ils nous complimentent sans réserve et sans mesure. Le lecteur qui cherche uniquement dans un livre à satisfaire la tendance naturelle de son esprit, demande à l'écrivain de répondre à son goût prédominant, et il qualifie invariablement de remarquable ou de bien écrit l'ouvrage ou le passage qui plaît à son imagination idéaliste, gaie, grivoise, triste, rêveuse ou positive. En somme, le public est composé de groupes nombreux qui nous crient :

­ Consolez-moi. ­ Amusez-moi. ­ Attristez-moi. ­ Attendrissez-moi. ­ Faites-moi rêver. ­ Faites-moi rire. ­ Faites-moi frémir. ­ Faites-moi pleurer. ­ Faites-moi penser.

   Seuls, quelques esprits d'élite demandent à l'artiste :

­ Faites-moi quelque chose de beau, dans la forme qui vous conviendra le mieux, suivant votre tempérament.

   L'artiste essaie, réussit ou échoue. Le critique ne doit apprécier le résultat que suivant la nature de l'effort ; et il n'a pas le droit de se préoccuper des tendances. Cela a été écrit déjà mille fois. Il faudra toujours le répéter



Bien. En fait, j'aurais aimé citer le reste, mais je me serais par trop éloignée du sujet. Le sujet, c'est votre Ravinière. Je ne la lis ce soir pas en tant que lectrice, mais avec la prétention d'appliquer les conseils pleins de sagesse de Maupassant sur les critiques.
 
Je n'ai pas les tendances en tête, hélas, pour savoir si vous y collez ou non, mais vos tendances à vous, si, je les ai en tête. J'attaque donc votre Ravinière connaissant certains de vos anciens écrits, et certains de vos plus récents. La Ravinière se démarque de vos autres écrits par le langage parlé et "enfantin" (est-on encore enfant à 13 ans ? Langage de cette tranche d'âge, quoi). Vous usez ailleurs déjà de ce registre, mais jamais avec autant de conséquence. Ce n'est pas une chose aisée à mettre en place, il faut garder l'équilibre entre les expressions qui donnent l'illusion du parlé, et celles qui maintiennent la cohésion de la structure grammaticale et les exigences de style. 
Petit relevé de techniques : 
  • le classique abandon des "ne" de négation,
  • Des ellipses grammaticales comme dans "J’ai pris ma planche et je suis allé voir Thierry, s’il voulait en faire avec moi", 
  • des solécismes à la pelle, ex : "Et ce jour-là, à un moment, Christian est arrivé avec sa moue de pas content."
  • L'absence de ponctuation, comme ici l'absence de virgules et de guillemets : "Je savais que c’était pas la peine que je lui dise, il m’aurait dit ouais ouais ouais c’est ça."
  • Des répétitions, marque de l'Auteur ^^, qui évitent l'emploi des déictiques, qui eux auraient donné un côté analytique et adulte. 
  • L'observation de certains phénomènes avec l'œil de l'enfant, qui décompose le mouvement de chute pour mieux le saudir après l'avoir tant expérimenté : "enfin, en tombant en arrière, on pouvait se gameller bien, quand même, oui, c’est le coup classique, ça, la planche qui se barre en avant et les pieds qui suivent mais pas le corps, bien sûr, non le corps il reste derrière, sans ses pieds et il s’étale là où il est." 


 


Une remarque :
"On arrêtait pas de tourner, et des fois on se cassait un peu la gueule, oh, pas de bien haut, ça fait quoi de hauteur, une planche à roulettes ? dix centimètres ?"
Dans ce passage, le language de l'enfant se perd à partir du oh, à mon avis c'est à retravailler. Mais peut-être je me trompe, voyez si vous recevez d'autres avis sur la question. 
 
Autre chose :
"et son grand frère Gaby, qui était plus petit que lui mais encore plus costaud et surtout bien moins bête."
Là, je me suis embrouillée : plus grand, plus petit, plus costaud, moins bête. J'ai dû relire plusieurs fois avant de voir le personnage. Sans compter que je n'ai pas de suite compris quelle valeur donner à "moins bête". Je croyais qu'il était aussi méchant, mais intelligent, donc plus dangereux. Ensuite l'affrontement entre les deux frères, je me suis embrouillée encore dans qui faisait quoi. 
À mon avis, portrait à retravailler. 

Voilà pour ce soir, je laisse tomber la prétention à la critique, il me semble que je suis passée à côté de l'essentiel, mais il m'échappe pour l'instant, et en tant que lectrice je vous dis : j'ai aimé, vraiment, vous m'avez entraînée dans des souvenirs qui ne sont pas les miens et me plaisent, vous m'avez servi une bonne tranche de la jeunesse d'un garçon, c'est une expérience que je n'ai jamais vécue ^^, pardonnez mes lapalissades il est minuit, et je vous en prie, les sujets hard rock et filles m'intéresseraient. 

Merci.

Thierry Lazert aime ce message

Ninn' A
Moi je pense que l'essentiel de ce texte c'est l'arrivée de Momo qui a été accueilli dans le quartier de façon tout à fait naturelle.

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Ninn' A
Et quand l'un d'eux n'a pas de skate et ben les autres remballent le leur et ils passent à une occupation commune

Salima Salam et Thierry Lazert aiment ce message

Thierry Lazert
@Ninn' A
Je n’ai pas voulu faire de Momo le personnage essentiel, tu sais. ll se trouvait qu’il était de ces boat people et parfois j’essayais d’imaginer ce qu’il avait vécu : mon imagination n’allait pas bien loin, j’abandonnais assez vite.

@Salima Salam
J’ai du mal à comprendre l’ensemble de la citation de GdM. Je crois que c’est une question de connecteurs logiques que je n’arrive pas à suivre. Enfin, bon.


Vous avez bien vu, le problème de « oh, pas bien, etc. », je vais revoir ça.

Je ne m’attendais pas à de la confusion chez les frères Queurot. Aussi méchant mais moins bête et donc plus dangereux, effectivement je n’avais pas vu la possibilité de cette lecture. Et peut-être qu’il faut rendre plus clair que l’ainé est plus petit, physiquement, que le cadet. Je vais me pencher là-dessus.

« Le mouvement de chute pour mieux le saudir » : vouliez-vous écrire sentir ?

Content de vous avoir embarquée dans une petite après-midi de Christian, Thierry et Thierry :))

Merci pour vos commentaires, Ninn’A et Salima.
Salima Salam
Je crois que je voulais dire : pour mieux le saisir.

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Ah mais ouiii, saisir, bien sûr !

Salima Salam aime ce message

Thierry Lazert
Voilà, j’ai corrigé les passages qui demandaient éclaircissements ou juste modifications dans la façon de parler du jeune garçon. Bonne lecture !
Salima Salam
Le passage de la planche est nickel maintenant. 
Par contre, celui des Queurots, même s'il est devenu clair, accroche à cet endroit :
"qui était tout en nerfs et qui prenait un malin plaisir à semer la terreur dès qu’il pouvait".
Ça, c'est assurément des expressions d'adulte. 
Si vous pouviez...

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
Je place mon Christian Queurot entre vos mains, Salima !

Edit : 

Et voilà qui est fait !

Salima Salam aime ce message

Jihelka
Bref, quand on a bien planché,
Qu'on a bien tout corrigé,
Le texte, pareil aux skates,
Est sur des roulettes.

Thierry Lazert aime ce message

Salima Salam
Très bon comme ça. Plus d'objections de mon côté. Enfin si, un truc : vous avez véritablement deux personnages différents qui s'appellent tous les deux Christian ?
Comme dit GdM, on ne peut pas toujours faire la part des choses, et vous ne pouvez pas avoir deux Christian dans une si courte nouvelle juste parce qu'en vrai il arrive que deux personnes portent le même prénom.
Et puis un truc, qui me travaille, mais qui n'apparaît pas dans la nouvelle et qui ne pose pas problème : qui est le narrateur ? C'est Thierry Lazert, qui par hasard a un copain qui s'appelle lui aussi Thierry ? Ou bien c'est un enfant qui a pour copain Thierry Lazert ?

Thierry Lazert aime ce message

Thierry Lazert
@Salima Salam
Ha ! Je me suis amusé à suivre très fidèlement les hasards de la réalité : 

un copain, Christian, d’une part, et l’ennemi commun, Christian aussi, d’autre part.

Ensuite, Thierry était bien le pote et voisin du narrateur, moi, Thierry.

Vous m’apprenez qu’il ne peut y avoir deuux Christian dans une si courte nouvelle. J’ai pensé que ça datait bien le texte, du moment que les deux n’étaient pas « confondables ». Or il me semble qu’ils ne le sont pas, mzis je me trompe peut-être.

Salima Salam aime ce message

Salima Salam
Laissez comme ça, j'ai juste voulu vous casser la tête. Mais plus tard je veux repasser pour vous dire ce que dit GdM à ce sujet.

Thierry Lazert aime ce message

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