Le Bastringue Littéraire
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

Le Bastringue LittéraireConnexion

L'Adresse où parler Littérature et para-litté-raturer prose et poésie.

-21%
Le deal à ne pas rater :
LEGO® Icons 10329 Les Plantes Miniatures, Collection Botanique
39.59 € 49.99 €
Voir le deal

POËSIE DU JOUR

power_settings_newSe connecter pour répondre
4 participants

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyPOËSIE DU JOUR

more_horiz
Ouvert à tous : premier arrivé, premier qui sert !


VERS DORÉS

Eh quoi ! tout est sensible !
PYTHAGORE

Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d’amour dans le métal repose ;
« Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant.

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !

Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !


Gérard de Nerval (1808-1855)

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
2. Lundi 18/07 – Victor Hugo (1802-1885)

CHOSES DU SOIR

Le brouillard est froid, la bruyère est grise ;
Les troupeaux de boeufs vont aux abreuvoirs ;
La lune, sortant des nuages noirs,
Semble une clarté qui vient par surprise.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Le voyageur marche et la lande est brune ;
Une ombre est derrière, une ombre est devant ;
Blancheur au couchant, lueur au levant ;
Ici crépuscule, et là clair de lune.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

La sorcière assise allonge sa lippe ;
L'araignée accroche au toit son filet ;
Le lutin reluit dans le feu follet
Comme un pistil d'or dans une tulipe.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

On voit sur la mer des chasse-marées ;
Le naufrage guette un mât frissonnant ;
Le vent dit : demain ! l'eau dit : maintenant !
Les voix qu'on entend sont désespérées.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Le coche qui va d'Avranche à Fougère
Fait claquer son fouet comme un vif éclair ;
Voici le moment où flottent dans l'air
Tous ces bruits confus que l'ombre exagère.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Dans les bois profonds brillent des flambées ;
Un vieux cimetière est sur un sommet ;
Où Dieu trouve-t-il tout ce noir qu'il met
Dans les coeurs brisés et les nuits tombées ?

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Des flaques d'argent tremblent sur les sables ;
L'orfraie est au bord des talus crayeux ;
Le pâtre, à travers le vent, suit des yeux
Le vol monstrueux et vague des diables.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Un panache gris sort des cheminées ;
Le bûcheron passe avec son fardeau ;
On entend, parmi le bruit des cours d'eau,
Des frémissements de branches traînées.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

La faim fait rêver les grands loups moroses ;
La rivière court, le nuage fuit ;
Derrière la vitre où la lampe luit,
Les petits enfants ont des têtes roses.

Je ne sais plus quand, je ne sais plus où,
Maître Yvon soufflait dans son biniou.

Dernière édition par DédéModé le Mar 19 Juil - 6:13, édité 3 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
3. Mardi 19/07 - Arthur Rimbaud (1854-1891)

LES DOUANIERS

Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d'Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités
Qui tailladent l'azur frontière à grands coups d'hache.

Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s'en vont, amenant leurs dogues à l'attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !

Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
" Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! "

Quand sa sérénité s'approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contrôlés !
Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés !

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyCHOSES DU SOIR

more_horiz
je trouve ce texte/poème grande grande classe. bien que sachant que c'est de la poésie, elle est restée très discrète lors de ma lecture, tout en diffusant son parfum. j'ai eu l'impression de lire un texte normal (vous ne m'en voudrez pas pour le normal, hein ?), pas un poème et c'est ça que je trouve très fort. c'est lors de la relecture que je me suis amusée à compter les syllabes.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Vers dorés

Le titre emprunté à Pythagore (https://www.academia.edu/8137907/les_vers_dor%C3%A9s_de_Pythagore) donne une dimension profonde au message, celle de la vieille sagesse et philosophie de l'Antiquité. On y retrouve la même nature animée, la même étrange conception de Dieu qui serait à la fois un et plusieurs, le même appel à l'humilité et la modération. 

Ça me paraît très romantique tout ça, retour à la nature, exaltation de l'être, quelques irrégularités de césure, et pourtant j'ai un doute.  
La répétition du mot "être" me dérange, et la césure du v8 aussi. Je trouve que l'ensemble est du grand art, mais ne correspond pas à l'idéal que j'ai du rythme en poésie et cette nature si animée prend des aspects perturbants je trouve.

Choses du soir

Voilà du romantisme incontestable, et si beau, si maîtrisé dans l'écriture, qui coule, magnifique. Des images fantastiques, fantasmagoriques, mélangeant le merveilleux au terrifiant, remuant les terreurs des petits enfants et même des adultes. 
Magnifique. Et les petits enfants sont bien protégés dans leur petit lit. 


Les douaniers 

Quel style différent, des phrases bien plus complexes que dans Choses du soir, et à la fois des formulations très décontractées, parlées. 
Je pense que la pièce est descriptive, exagérée, critique et moqueuse aussi. Les images sont très élaborées.
De nouveau des césures qui vont dans tous les sens.

Dernière édition par Salima Salam le Ven 22 Juil - 22:54, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Rimbaud se plaît à malmener le tétramètre : c'est un sale gamin avant tout, ce qu'on oublie trop souvent depuis qu'on l'a mis sur un piédestal.
Mais de quoi parle-t-on précisément, Mesdames ?

Dernière édition par DédéModé le Mer 20 Juil - 6:23, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
4. Mercredi 20/07 - Paul Verlaine (1844-1896)


MONSIEUR PRUDHOMME


Il est grave : il est maire et père de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux
Dans un rêve sans fin flottent insoucieux,
Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille.

Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille
Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux,
Et les prés verts et les gazons silencieux ?
Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille.

Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu,
Il est juste-milieu, botaniste et pansu.
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,

Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a
Plus en horreur que son éternel coryza,
Et le printemps en fleur brille sur ses pantoufles.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Je déteste le tétrametre. Il est insupportable et vient toujours casser la lecture. 
Et donc, il ne s'agit pas de douaniers ? Alors je ne connais pas la réponse. 




Monsieur Prudhomme




Ok, si je délaisse mon grand amour pour le bel hémistiche, je trouve les vers admirablement tournés, évidemment. Le v2 est si fin, avec les yeux qui semblent aussi être engloutis.
Mais le passage des quatrains aux tercets est marqué par un point factice, parce qu'en grammaire il faudrait une virgule, alors je me demande pourquoi un point. Verlaine ne se dérange pas pour se moquer des autres règles classiques, alors il aurait bien pu continuer sa phrase sans user du faux point. 




V4 et v14 sont du très grand art. Et v1 est très drôle.

Dernière édition par Salima Salam le Ven 22 Juil - 20:39, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Apprenez, Madame La Taulière, que le tétramètre est le vers classique par excellence : 3/3//3/3.
Bien sûr qu'il s'agit de douaniers, je parlais des circonstances.

D'accord pour la ponctuation mais elle n'est pas la grammaire, ni aussi rigide. D'ailleurs, Verlaine, pas plus que Rimbaud, ne "se moque des  règles classiques" ; il leur arrive seulement de les contourner, notamment en rompant le rythme de l'alexandrin.
Libertés toutefois condamnées par le Parnasse...

Dernière édition par DédéModé le Jeu 21 Juil - 6:13, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
5. Jeudi 21/07 - Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894)

MIDI


Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ;
La Terre est assoupie en sa robe de feu.

L'étendue est immense, et les champs n'ont point d'ombre,
Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.

Non loin, quelques boeufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si, le coeur plein de joie ou d'amertume,
Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! la Nature est vide et le Soleil consume :
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si, désabusé des larmes et du rire,
Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté,

Viens ! Le Soleil te parle en paroles sublimes ;
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le coeur trempé sept fois dans le Néant divin.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
6. Vendredi 22/07 - José-Maria DE HEREDIA (1842-1905)

LE RÉCIF DE CORAIL


Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.

Et tout ce que le sel ou l'iode colore,
Mousse, algue chevelue, anémones, oursins,
Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.

De sa splendide écaille éteignant les émaux,
Un grand poisson navigue à travers les rameaux ;
Dans l'ombre transparente indolemment il rôde ;

Et, brusquement, d'un coup de sa nageoire en feu
Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu,
Courir un frisson d'or, de nacre et d'émeraude.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Tandis que Monsieur de L'Isle Bourbon, précédemment, finissait par succomber au Romantisme, voici un type de pur Parnasse ; documentaire en vers où les tourments de la condition humaine brillent par leur absence, le sonnet est tiré de l'unique recueil de cet auteur purement classique qui en compte près de 120 : 
Les Trophées.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Les douaniers 

Il s'agit de souvenirs de l'école buissonnière. Du vécu. Ici c'est très bien expliqué : 
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Le vilain petit Arthur ! Je condamne très sévèrement ses escapades, ses notes passables, ses mauvaises fréquentations, tout le mal qu'il dit des pauvres douaniers, et le tabac que lui et d'autres comme lui ont fumé, furent et fumeront. 

Le tétramètre, ah oui, merci pour la précision, je l'avais confondu avec je ne sais plus quoi, dès qu'il y a des chiffres quelque part mon esprit s'embrouille. Alors, évidemment, je ne déteste pas le tétramètre, au contraire, bien au contraire, ce cher tétramètre, comment ai-je pu, je lui fais toutes mes excuses.


La ponctuation est assurément une branche de la grammaire :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Elle obéit à des règles et suit et marque des ensembles grammaticaux. Mais on peut appliquer ces règles avec plus ou moins d'exactitude pour des effets de style, ou pour souligner des inflexions de voix ou souligner l'importance d'une information ou pour d'autres raisons encore.



En fait, Ninn'A, tu as tout à fait raison je trouve, quand tu le lis comme de la prose (bien sûr je t'en veux beaucoup pour le mot "normal", mais enfin où va-t-on), comme ça ça donne une prose très soignée, très littéraire, très imagée, sans les secousses des pauvres hémistiches "malmenés". Tu sais quoi, s'il était notre contemporain, je l'inviterais sur le Bastringue, qu'on se penche un peu sur ses vers. Je lui conseillerais de me retravailler un peu la ponctuation, de me faire sauter cette absurde forme du sonnet qui ne se prête pas du tout à ses vers. Bon, peut-être je lui laisserais ses enjambements, si ça lui fait plaisir.



Midi et Le récif de corail 

Les deux pièces ne sont pas sans ressemblance. Description d'un lieu vide d'hommes, même si la campagne est le résultat du labeur humain, et même si elle est visitée par cet homme las des hommes, il repart dépassionné et déshumanisé, naturalisé quoi. 
Le vocabulaire est parfois identique : soleil, bleu, morne, immobile, mer, forêt, or/dorée, vivant. 
La "pointe" est amenée dans les deux cas par une phrase commancant par la conjonction de coordination "et".

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
7. Samedi 23/07 - Anatole FRANCE (1844 - 1924)




LA MORT D'UNE LIBELLULE 

Sous les branches de saule en la vase baignées
Un peuple impur se tait, glacé dans sa torpeur,
Tandis qu'on voit sur l'eau de grêles araignées
Fuir vers les nymphéas que voile une vapeur.


Mais, planant sur ce monde où la vie apaisée
Dort d'un sommeil sans joie et presque sans réveil,
Des êtres qui ne sont que lumière et rosée
Seuls agitent leur âme éphémère au soleil.


Un jour que je voyais ces sveltes demoiselles,
Comme nous les nommons, orgueil des calmes eaux,
Réjouissant l'air pur de l'éclat de leurs ailes,
Se fuir et se chercher par-dessus les roseaux,


Un enfant, l'oeil en feu, vint jusque dans la vase
Pousser son filet vert à travers les iris,
Sur une libellule ; et le réseau de gaze
Emprisonna le vol de l'insecte surpris.


Le fin corsage vert fut percé d'une épingle ;
Mais la frêle blessée, en un farouche effort,
Se fit jour, et, prenant ce vol strident qui cingle,
Emporta vers les joncs son épingle et sa mort.


Il n'eût pas convenu que sur un liège infâme
Sa beauté s'étalât aux yeux des écoliers :
Elle ouvrit pour mourir ses quatre ailes de flamme,
Et son corps se sécha dans les joncs familiers.

Chaville, mai 1870.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
La mort d'une libellule

Malgré la présence du "je" et du "nous", pièce résolument parnassienne. En effet, le "je" n'est pas lyrique, il est juste observateur, c'est presque une cheville de l'auteur qui ne s'est pas donné la peine de chercher formulation plus parnassienne. Ah, je vois venir le connaisseur qui rétorque qu'en Parnasse on ne bâcle pas. Certes. Changeons de sujet alors.
Quand au reste : l'auteur, la date, le sujet, le registre, la technique, tout colle. 

Le sujet : description d'un habitat naturel fui des hommes, un marécage ou similaire, description dépassionnée de la faune, de la flore et du minéral (glacé, apaisé, sans joie, sans réveil, calme), et évidemment description de la mort d'une libellule sans pathos.

Registre lexical : très parnassien, nymphéas, lumière, rosée, vie, mort, soleil, pur, éclat, feu, iris, flamme : l'art pour l'art, la beauté comme seul objectif. 
Sauf "familier" qui exprime un certain attachement.

La technique : bin, excellente, mais pour le fun je me permets : strophe 5 répétition de la construction adj+ nom : fin corsage, frêle blessée, farouche effort.
V8 : Seuls agitent leur âme éphémère au soleil.
Césure non conforme.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
8. Dimanche 24/07 - Guy de MAUPASSANT (1850-1893)

NUIT DE NEIGE


La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
9. Lundi 25/07 - Théophile GAUTIER (1811-1872)

PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS


Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.

Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.

Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.

Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.

Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
10. Mardi 26/07 - Tristan CORBIÈRE (1845-1875)

I SONNET (Avec la manière de s'en servir)

Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe :  on en suit quatre, en long ;
A chaque pieu, la rime  exemple : chloroforme.
Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré 20 mots. Vite à mon aide...
(Sonnet c'est un sonnet Ô Muse d'Archiméde !
La preuve d'un sonnet est par l'addition :

Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! Tenons Pégase raide :
" Ô lyre ! Ô délire ! Ô... " Sonnet   Attention !

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
11. Mercredi 27/07 - Stéphane MALLARMÉ (1842-1898)

RENOUVEAU

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.


Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau
Et triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane


Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,


J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève…
– Cependant l'Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Il serait peut-être intéressant – en tout cas plus didactique – de reprendre dans l'ordre et depuis le début. 
Je propose donc de remonter aux origines de la Poësie françoise pour suivre ensuite la chronologie de son histoire.
Dame Jeanne, voudriez-vous commencer, ce lundi, par le trobador de vostre choix ?

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Vous me faites bosser ! J'ai ainsi découvert que le terme "poète" serait apparu avec Guillaume De Machaut. j'ai recherché un peu ce qu'il a écrit et j'avoue n'y comprendre goutte :-)

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Bossez, bossez, tous les deux ! La travail, quoi de plus gratifiant ! Et si vous vouliez bien, dame Jeanne ou sa seigneurie Démodée, expliquer pourquoi cette rubrique s'intitule Poësie et non Poésie, ce serait très aimable et instructif.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Cela s’écrivait ainsi avant la réforme orthographique française de 1878.
Un aperçu : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Merci ! :-)

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Je propose pour faciliter la traduction moderne.


Chanson (galante, mais en l'occurrence pas vraiment galante) de Peire Cardenal 


Les amoureuses, quand on les accuse, répondent gentiment. L’une a un amant parce qu’elle est de grande naissance, et l’autre parce que la pauvreté la tue ; l’autre a un vieillard et dit qu’elle est jeune fille, l’autre est vieille et a pour amant un jeune homme ; l’une se livre à l’amour parce qu’elle n’a pas de manteau d’étoffe brune, l’autre en a deux et s’y livre tout autant.
Celui-là a la guerre bien près qui l’a au milieu de sa terre ; mais il l’a bien plus près encore quand elle est près de son coussin ; quand la femme n’aime pas son mari, cette guerre est la pire de toutes. Si tel que je connais était au delà de Tolède, il n’y a sœur, femme, ni cousin qui ne s’écriât : « Que Dieu me le rende ! » ; mais quand il part, le plus triste est forcé de rire.






Sirventes (poesie satirique) de Bernard Sicard de Marvejolis


Je ne puis décrire ma tristesse et ma peine ; je vois le monde confondu, les lois et les serments violés. Tout le long du jour je m’irrite, la nuit je soupire veillant ou dormant ; de quelque côté que je me tourne, j’entends la gent courtoise qui crie humblement aux Français : « Sire » ; les Français accordent leur pitié pourvu qu’ils voient le butin. Ah ! Toulouse et Provence, terre d’Argence, Béziers et Carcassonne, comme je vous ai vues et comme je vous vois !


Les chevaliers de l’Hôpital ou de tout ordre que ce soit me sont odieux ; je trouve en eux l’orgueil joint à la simonie et à l’amour des grands biens ; pour être admis dans leurs rangs, il faut de grandes richesses, de bons héritages ; ils ont l’abondance et le bien-être ; la fourberie et la ruse, c’est là leur religion.


Ô noble clergé, quel grand bien je dois dire de vous ! Si je le pouvais, je doublerais mes éloges. Vous tenez bien la droite route et vous nous l’enseignez ; mais les bons guides auront de belles récompenses ; vous êtes larges en aumônes, vous ne connaissez point la convoitise et vous menez une vie bien malheureuse… Mais que Dieu soit plutôt avec nous, car tout ce que je dis est mensonge.



Sirventes de Peire Cardenal


On plaint son fils, son père ou son ami, quand la mort vous l’a enlevé ; mais moi je regrette les vivants qui restent en ce monde… quand ils sont menteurs, misérables, voleurs, larrons, parjures, traîtres que le diable mène et qu’il enseigne comme on ferait un enfant…


Je regrette qu’un homme soit voleur, mais je regrette bien plus qu’il jouisse trop longtemps de ses vols et qu’on ne l’ait pas pendu… je ne regrette pas que ces gens-là meurent, mais je regrette qu’ils vivent et qu’ils aient des héritiers pires qu’eux…


Je plains le monde, où il y a tant de fripons ; les hommes y sont dans une telle erreur et perversité qu’ils regardent les vices comme des vertus et les maux comme des biens ; les preux sont blâmés, les lâches estimés, les mauvais deviennent bons, les torts sont des bienfaits et la honte est un honneur…


Il semble que mon chant ne vaut rien, car je l’ai ourdi et tissu de satires ; mais d’un méchant arbre on ne cueille pas facilement de bons fruits — et je ne sais pas faire un beau discours sur de mauvaises actions.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
j'adore l'emploi de "fripons" dans le troisième texte.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Le premier troubadour serait Guillaume IX De Poitiers (1071-1127) dont voici un texte que j’ai trouvé avec une « traduction ».
 
Je n'adorerai qu'elle ! 
 
Farai chansoneta nueva,
Ans que vent ni gel ni plueva:
Ma dona m'assaya e-m prueva,
Quossi de qual guiza l'am;
E ja per plag que m'en mueva
No-m solvera de son liam.
Qu'ans mi rent a lieys e-m liure,
Qu'en sa carta-m pot escriure.
E no m'en tenguatz per yure,
S'ieu ma bona dompna am!
Quar senes lieys non puesc viure,
Tant ai pres de s'amor gran fam.
Per aquesta fri e tremble,
Quar de tam bon'amor l'am,
Qu'anc no cug qu'en nasques semble
En semblan del gran linh n'Adam.
Que plus es blanca qu'evori,
Per qu'ieu autra non azori:
Si-m breu non ai aiutori,
Cum ma bona dompna m'am,
Morrai, pel cap sanh Gregori,
Si no-m bayza en cambr'o sotz ram.
Qual pro-y auretz, dompna conja,
Si vostr'amors mi deslonja
Par que-us vulhatz metre monja!
E sapchatz, quar tan vos am,
Tem que la dolors me ponja,
Si no-m faitz dreg dels tortz q'ie-us clam.
Qual pro i auretz s'ieu m'enclostre
E no-m retenetz per vostre
Totz lo joys del mon es nostre,
Dompna, s'amduy nos amam.
Lay al mieu amic Daurostre,
Dic e man que chan e bram.
 
****************************************
 
Ferai chansonnette nouvelle
Avant qu'il vente, pleuve ou gèle
Ma dame m'éprouve, tente
De savoir combien je l'aime ;
Mais elle a beau chercher querelle,
Je ne renoncerai pas à son lien
Je me rends à elle, je me livre,
Elle peut m'inscrire en sa charte ;
Et ne me tenez pour ivre
Si j'aime ma bonne dame,
Car sans elle je ne puis vivre,
Tant de son amour j'ai grand faim.
Pour elle je frissonne et tremble,
Je l'aime tant de si bon amour !
Je n'en crois jamais née de si belle
En la lignée du seigneur Adam.
Elle est plus blanche qu'ivoire,
Je n'adorerai qu'elle !
Mais, si je n'ai prompt secours,
Si ma bonne dame ne m'aime,
Je mourrai, par la tête de Saint Grégoire,
Un baiser en chambre ou sous l'arbre !
Qu'y gagnerez-vous, belle dame,
Si de votre amour vous m'éloignez ?
Vous semblez vous mettre nonne,
Mais sachez que je vous aime tant
Que je crains la douleur blessante
Si vous ne faites droit des torts dont je me plains.
Que gagnerez-vous si je me cloître,
Si vous ne me tenez pas pour vôtre ?
Toute la joie du monde est nôtre,
Dame, si nous nous aimons,
Je demande à l'ami Daurostre
De chanter, et non plus crier.

Dernière édition par Ninn' A le Mar 2 Aoû - 7:16, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Ah ! lo tlobadol d'Occitania i su Canso galante !
C'est du LOURD de chez Louldo, dictes-moy !
Merci, Dame Jehanne, de nous avoir déniché cette perle de jadis (début XIIème ?).
J'aime encore mieux les amourettes des temps modernes du Poto !

(je reçois plus les notifications du Bastringue et, surtout, j'ai une tique sur l'épaule – j'ai pas eu le couer de l'assassiner aux néonicotinoïdes – qu'est tellement pleine que je penche de son côté, et, surtout, ça me gratte tellement que j'arrive pas à me concentrer ; ça ira mieux quand elle sera retournée dans son milieu naturel ; en attendant, je vous laisse vous amuser)

P-S : Je propose de ne point rompre la chaisne : que la longue lignée des trobadors se poursuive sans discontinuer. Ainsi, le deuxième – que je me réserve pour demain – en sera né avant la mort de Guilhem, et ainsi de suite, jusqu'à nos jours.
Madame La Taulière, vous prendrez le relai mercredi, puis Dame Jehanne jeudi, et ainsi de suicte... J'ai dict.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
[ltr]2. Mardi 02/08 - Bernart de VENTADORN (v.1125-v.1200)

TANT AI MO COR PLE DE JOYA

Tant ai mo cor ple de joya,
Tot me desnatura.
Flor blancha, vermelh’ e groya
Me par la frejura,
C’ab lo ven et ab la ploya
Me creis l’aventura,
Per que mos chans mont’ e poya
E mos pretz melhura.
Tan ai al cor d’amor,
De joi e de doussor
Per que.l gels me sembla flor
E la neus verdura.
 
Anar posc ses vestidura,
Nutz en ma chamiza,
Car fin’ amors m’asegura
De la freja biza.
Mas es fols qui.s desmezura,
E no.s te de guiza.
Per qu’eu ai pres de me cura,
Deis c’agui enquizaLa plus bela d’amor,
Don aten tan d’onor,
Car en loc de sa ricor
No volh aver Piza.

 
De s’amistat me reciza
Mas be n’ai fiansa,
Que sivals eu n’ai conquiza
La bela semblansa.
Et ai ne a ma deviza
Tan de benanansa,
Que ja.l jorn que l’aurai viza,
Non aurai pezansa.
Mo cor ai pres d’Amor,
Que l’esperitz lai cor,
Mas lo cors es sai, alhor,
Lonh de leis, en Fransa.

 
Eu n’ai la bon’ esperansa.
Mas petit m’aonda,
C’atressi.m ten en balansa
Com la naus en l’onda.
Del mal pes que.m desenansa,
No sai on m’esconda.
Tota noih me vir’ e.m lansa
Desobre l’esponda.
Plus trac pena d’amor
De Tristan l’amador,
Que.n sofri manhta dolor
Per Izeut la blonda.

 
Ai Deus car no sui ironda,
Que voles per l’aire
E vengues de noih prionda
Lai dins so repaire
Bona domna jauzionda,
Mor se.l vostr’ amaire
Paor ai que.l cors me fonda,
S’aissi.m dura gaire.
Domna, per vostr’ amor
Jonh las mas et ador
Gens cors ab frescha color,
Gran mal me faitz traire

 
Qu’el mon non a nul afaire
Don eu tan cossire,
Can de leis au re retraire,
Que mo cor no i vire
E mo semblan no.m n’esclaire.
Que que.m n’aujatz dire,
Si c’ades vos er veyaire
C’ai talan de rire.
Tan l’am de bon’ amor
Que manhtas vetz en plor
Per o que melhor sabor
M’en an li sospire.

 
Messatgers, vai e cor,
E di.m a la gensor
La pena e la dolor
Que.n trac, e.l martire.


_____________________
[/ltr]
[ltr]J'ai le coeur si plein de joie,
Tout se dénature !
Et fleur blanche qui rougeoie
Semble la froidure ;
Par le vent, la pluie, s'accroît
Ma soif d'aventure ;
Mon chant monte et se déploie
Et mon prix perdure.
J'ai au coeur tant d'amour,
De joie et de douceur,
Que le gel me semble fleur,
La neige verdure.
 
Je puis aller sans vêture,
Nu sous ma chemise,
Car un pur amour m'assure
De la froide bise,
Mais fou qui par démesure
N'en fait qu'à sa guise !
De moi-même j'ai pris cure
Dès que l'eus requise :
La plus belle d'amour,
Dont j'attends tant d'honneur,
Car en lieu de sa grandeur
Je ne voudrais Pise !
 
Quoiqu'elle me l'interdise,
Je garde confiance !
Car je sais au moins conquise
Sa douce obligeance ;
J’eus, bien qu’elle m’éconduise,
Tant de réjouissance,
Qu'au revoir n'auront d'emprise,
Sur moi mes souffrances !
Mon cœur est près d'Amour,
L'esprit auprès du cœur,
Mais le corps ici, ailleurs,
Si loin d'elle, en France.
 
Toute ma bonne espérance
Bien peu me seconde,
Elle me tient en balance
Comme nef sur l'onde.
Ces pensées m'ôtent le sens,
La nuit, me confondent ;
Je tourne et vire en tous sens,
Tant ma peine abonde.
Je languis plus d'amour
Que Tristan en son coeur
Qui souffrit maintes douleurs
Pour Izeut la blonde.
 
Dieu, que ne suis-je l'aronde
Qui vole dans l'air
Pénétrant la nuit profonde
Jusqu'à son repaire.
Las ! belle dame gironde,
Votre amant se perd !
Je crains que mon coeur ne fonde
Si je désespère...
Dame, pour votre amour
Je prie avec ardeur ;
Beau corps aux fraîches couleurs,
J'ai pour vous souffert !
 
Au monde, il n'est nulle affaire
Qui autant m'inspire !
Pour peu qu'il en soit matière
Là mon coeur chavire
Et mon visage s'éclaire !
Que pourrais-je dire
Sans qu'à vos yeux ne s'avère
Qu'il me prend de rire ?
Si franc est mon amour
Que maintes fois j'en pleure ;
Meilleure en est la saveur
Qu'offrent les soupirs !
 
Messager, va et cours !
Et dis à la meilleure
La détresse et la douleur
Qui font mon martyre.
[/ltr]

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
3. Mercredi 03/08 - Peire CARDENAL (1180-1278)


BEL M'ES QUI BATIS
(Sirventes. )
- vers 1204 -


I
Bel m'es qui bastis
Sirventes faitis
De faissón,
Bel e ses totz sis,
D'amor gent assis
En gai són.
Pueis quals que l'aprénda,
Abanz que-l reprénda,
Regart la razón
Pueis lo don o-l vénda
A tal que-l revénda
Can veira sazón
E-l retraia
Lai don aia
Anel o cordón,
O assaia
So de saia:
Rauba de Gordon.


1
Il me plaît quand quelqu'un bâtit
un sirventès bien construit
bien comme il le faut,
beau et sans défaut,
gentiment tourné
sur un air enjoué.
Quiconque l'apprenne,
avant de le reprendre,
en étudie bien le propos.
Ensuite, qu' il le donne ou le vende
à tel qui le revendra
le moment venu.
Il le récitera
là où il pourra en avoir
anneau ou collier,
ou même, essayer,
en guise d'habit
une robe de Gourdon.


II
Be-m tenc ad afan
La vida que fan
Li malvas,
Car venon ni van
Atras ni avan
Mas el vas.
Mas pres que lur vida
Cant mortz los envida
Ni lur es al las:
Car tan descausida
Vida an causida
Li doloiros las
Qui non dona
Ni perdona
Als sieus ni ten pas
Mal meissona
E pietz sona
E vai a mal pas.


2
Je suis bel et bien chagriné
par la vie que mènent
les méchants,
car ils vont et ils viennent
en arrière et en avant,
toujours plus, vers le tombeau.
Plus que leur vie j'apprécie
le moment où la mort les invite
et se trouve à leur côté :
car la vie qu'ils ont choisie
ces tristes misérables
est vraiment méprisable
Celui qui ne donne
ni ne pardonne aux siens,
celui qui ne reste pas en paix,
il fait une mauvaise moisson.
et un jour il demande de l'aide en vain
et va vers une mauvaise fin.


III
Ben m' agra estòrt
Qui non fezes tòrt
Luenh ni pres:
Dic o per la mòrt
Que tal fer e mòrt
Qu'a bon prés
Mas per que non ména
Aquel que seména
Malvestat adés
Als autres eslena
A for de baléna
Que-ls beu des a dés
E car cuda
Gen vencuda
Menar entreprés
A perduda
E venduda
Valor a esprés.


3
Elle épargnerait, selon moi, avec raison
celui qui ne fait de tort à personne,
ni de près ni de loin :
je dis cela pour la Mort
qui frappe et mord
bien des gens de valeur.
Mais pourquoi n'emmène-t-elle pas
celui qui toujours sème
la méchanceté ?
Auprès des autres elle se coule
à la manière d'une baleine
qui les avale dix par dix.
Puisqu' elle pense ainsi
emmener, désemparés,
les gens vaincus
elle a perdu
et vendu
la Valeur de façon délibérée.


IV
Ben tenc per cortés
Aquel qu'en cort és
Can desfai
Un fait qu'a enprés
Us rics mal aprés
Don tort fai.
Fort es bella causa
Qui malvestat causa
A home savai;
E sel que la-ill lausa,
Cant es sotz la lausa
Pensatz cosi-l vai.
Qui follia
Ab follia
Malvestatz dechai,
E desvia
De la via
Lo malvais, don chai.


4
Je le tiens vraiment pour courtois
l'homme de cour
qui défait
ce qu'a fait
un riche mal appris
pour nuire.
C'est fort belle chose
de reprocher sa méchanceté
à un homme mauvais;
quant à celui qui en chante les louanges
lorsqu'il est sous la triste dalle
méditez comment il en va pour lui.
Celui qui s'acoquine
avec les insensés,
la méchanceté le rabaisse,
elle qui détourne
de la bonne voie
le méchant, et cause sa chute.


V
Ben es aparvén
Qu'el vida parvén
Dels peiórs
On mais an de sén
E plus bas deissén
Lur sejórs,
A for de balansa:
Con plus aut s'eslansa,
Plus bas fai son córs.
Mala es la coindansa
Don hom chai en dansa
On non es socórs.
Mas desire
Que asire
L'afar dels trachórs
Qu'ab aussire
Esser sire
D'Anjou ni de Tors.


5
Il n' est que trop clair
que dans la vie superficielle
des pires gens,
l'augmentation de leurs revenus
diminue d'autant
leur tranquillité.
Comme une balance
qui plus haut s'élance,
plus bas suit ensuite son cours.
Mauvaise est la conduite
qui fait tomber l'homme
en une danse diabolique
dont on ne pourra plus le sortir.
Je préfère de beaucoup détester
la conduite des traîtres
que d'être par le crime
sire
d'Anjou et de Tours.


VI
Ab mentire
Non me tire
Cui sec desonórs,
Car del dire
Es a dire
Lo bens e l'onórs.


6
Que jamais je ne me retrouve
en compagnie d' un menteur
que suit le déshonneur
car son discours
manque par trop
de bien et d' honneur !


Texte original en ancien occitan
Notes, traduction et adaptation en français de D. Eissart
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]


NOTES: La fin de la strophe 5 semble être une allusion à Jean-sans-Terre qui, voulait devenir "seigneur d'Anjou et de Tours" à la place de l' héritier légitime, son neveu Arthur de Bretagne. Il s'empara de ce dernier en Poitou (juillet 1202) et le transféra à Rouen. La rumeur dit qu'il le poignarda lui-même.
La forme savante et assez originale du sirventès a peut-être été étudiée en vue de rivaliser, au début du séjour à Toulouse, avec l'art des autres poètes de cour déjà bien "installés" comme Raimon de Miraval par exemple.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Ça nous change de l'amor de lonh ! Mais il aurait vécu près d'un siècle ?

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Oui, près d'un siècle. Il a laissé une œuvre considerable, très variée, très critique, très riche.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Cerveri de Girona 1259 - 1285
 
 
Ayço es viadeyra.
 
 
No l prenatz lo fals marit
Ja, Na Delgada,
No l prenatz lo fals jurat,
Que pec es mal enseynat,
Ja, Na Delgada !
No l prenatz lo mal marit,
Que pec es ez adormit,
Ja, Na Delgada,
Que pec es mal enseynat;
No sia per vos amat,
Ja, Na Delgada !
Que pec es ez adormit :
No jaga ab vos el lit,
Ja, Na Delgada !
No sia per vos amat :
Mel val cel c'avetz privat,
Ja, Na Delgada !
No jaga ab vos el lit,
Mel vos y valra l'amich,
Ja, Na Delgada !




Traduction.
Ne le prenez pas le faux mari, Dame fine ! Ne le prenez pas le faux promis : il est sot et mal instruit, Dame fine ! Ne le prenez pas, le mauvais mari, car il est sot et endormi, Dame fine ! Il est sot et mal instruit ; qu'il ne soit pas aimé de vous, non, Dame fine ! — car il est sot et endormi. Qu'il ne couche pas avec vous dans le lit, non, Dame fine ! Qu'il ne soit pas aimé de vous : mieux vaut celui que vous avez en secret Dame fine ! Que le mauvais mari ne couche pas avec vous dans le lit : mieux vous y vaudra l'ami, oui, Dame fine !

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
5. Vendredi 05/08 - RUTEBEUF (v.1230-v.1285)

CI ENCOUMENCE LE DIT DE L'UEIL RUSTEBUEF (La Complainte Rutebeuf)

Que sont mes amis devenus ? (extrait : vers 107 à 126) 

Li mal ne sevent seul venir:
Tout ce m'estoit a avenir
S'est avenu.

Que sont mi ami devenu
Que j'avoie si près tenu
Et tant amé?

Je cuit qu'il sont trop cler semé:
Il ne furent pas bien semé
Si sont failli.

Itel ami m'ont mal bailli,
C'onques, tant com Diex m'assailli
En maint costé,

N'en vi un seul en mon osté:
Je cuit li vens les m'a osté.
L'amor est morte:

Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte
Ses emporta,

C'onques nus ne m'en conforta
Ne du sien riens ne m'aporta.

************************************

Les maux ne savent seuls venir :
Tout ce qui devait m'arriver
Est arrivé.

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ?

Je crois qu'ils sont trop clairsemés :
Ils ne furent pas bien entretenus
Ainsi ont-ils fait défaut.

De tels amis m'ont mal traité,
Car jamais, tant que Dieu me mit à l'épreuve
Par bien des côtés,

Je n'en vis un seul en mon logis,
Je crois que le vent me les a ôtés.
L'amitié est morte :

Ce sont amis que vent emporte,
Et il ventait devant ma porte
Les emportant,

Car aucun ne me réconforta
Ni rien de son bien ne m'apporta.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Mais ça prend forme ! On constate un début de régularité des vers.

L'amitié n'est pas présentée sous son plus beau jour chez Girona et Rustebuef, le premier désigne par ami le "trompeur de mari" et le second ne sait pas les choisir. Thèmes actuels, ou bien, formulé autrement : leurs thèmes sont très modernes ou bien nos thèmes sont très remachés ou bien ils sont indémodables.

Dernière édition par Salima Salam le Ven 5 Aoû - 20:37, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
( parenthèse : je ne trouve pas le maillon suivant, mais j'ai trouvé quelqu'un qui est fascinant, Raimon Vidal de Bezaudun, il a écrit Razós de trobar : 

« Razós de trobar est un livre écrit au xiiie siècle en ancien occitan par le troubadour catalan Raimon Vidal de Bezaudun. Il s'agit de la plus ancienne étude grammaticale d'une langue romane connue. En outre, l'ouvrage traite des règles de versification et de composition poétique en langue occitane. »
Source : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

C'est un Troubadour grammairien. Je trouve ça très classe ! 




Et d'ailleurs, je me permets de mettre un lien vers une conférence extrêmement intéressante de Denis Hüe, « Troubadours, un laboratoire formel », où le conférencier insiste beaucoup sur la fausseté du cliché très répandu présentant le troubadour comme un mendiant à guitare faisant le clown aux pieds des belles dames de château en château.

Au contraire, le troubadour était un écrivain poète, souvent sédentaire, lettré, parfois grand seigneur, parfois engagé politiquement.

Beaucoup d'autres points dong abordés, notamment l'influence musicale. 

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] )

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
6. Samedi 06/08 - Geofroi de PARIS (v. 1275-1320).

Chronique métrique en près de 8000 vers, extrait 

L’an mil trois cens six, en cel an
Furent les juifs pris à pan:
De ce ne fas-je mie doute,
Faus Juis qui ne voient goute
En nostre loi chretiennée
Furent pris, à une jornée,
Droit le jor de la Magdelaine
Mainte grant prison en fu plaine.

Je dis seignors, comment qu’il aille,
Que l’intencion en fu bonne,
Mès pire en es mainte personne
Qui devenu est usurier,
Et en sera ça en arrièr
Trop plus assez qu’estre ne sceut
Dont tout povre gent se deut;
Car Juifs furent débonnères
Trop plus en fesant telz affaires
Qui ne furent ore chretiens.

Chronique des années 1300 à 1316 en octos à rimes plates sur la politique du roi, du pape et autres gens de pouvoir du temps. 

Ici : l'expulsion des Juifs par Philippe le Bel en 1306. 

Pas de traduction, désolée, mais la langue se comprend plus ou moins.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Chanson de Bernart de Panassac un donzel ou damoiseau, connu entre 1323 et 1336.
 
 
Amors. car say que faretz pietat.
E car conosc quez er drecg e merces
E car vai faitz amar la gençor res
Quez anch nasques, Na Ses-par-de-beutat,
Mercé vos clam, e faretz gran franqueza,
Pus tan lam faiti voler e dezirar,
Qu'a ley façatz los meus prechs escoutar,
Que dir li vuyl com l’am d'amor corteza.
 
Dona gentils, plena d’umilitat, *
onda d'erguyl. complimen de totz bes,
Cambra d’onor hon pretz albergatz s'es,
Digna d'amor, gaya flors d'onestat.
Faus a saber, flors de gran gentileza.
C'Amor mi fay gaya canso bastir
Amb la qual vuyl far saber ses mentir
Als fis aymans quals es vostra nobleza.

Amor. prech vos, pus quem faitz iratums 
Per leys quez es de beutatz clara dotz, 
Si donchs no es lo vostre poders rotz, 
Que sol esser trop pus fortz que betums. 
Qu'a leys façatz amar mi, si nous pesa. 
Si com me faitz ley ; mas non pusch cujar, 
Amors, c’ayso puschatz vos acabar. 
Mas plagram fort von fossatz entremeza.

 Serva d'azautz mestiers, de bos costums 
Enseynamens, de richs faitz viva dotz, 
Del bel solatz repayres e de totz 
Bos ayps esems, e de leyautat lums, 
Ma volontat es a vos tan sotzmesa 
Que per dever eus vuyl totz temps servir, 
E pregui Deu que nom laix cossentir 
Nuyll fait don vos puscatz esser repreza. 

 Amor, mon cor estar s'en es anatz 
Am liey qu’eu plus am que frayre ni sor, 
E pus mey huyll ir volon a tot for 
E remaner ab sas plazens beutatz, 
Pregatz li donchs, Arnors tant queus en creza. 
Pus ha 10 cor, qu’elam vuyla laissar 
L'u dels meus huyls quez am ley van estar 
E quem perdo, si dich en re fadeza. 

 Fons de valor de totas brutatz, 
Envega d’uylls, gautg e plazer de cor, 
Flum de fin pretz, que no taris ni mors 
Consolantens dels fis enamoratz, 
Lo jorn queus Vey, gazayni tal riqueza 
Que puys nom pot de tot l'an mal venir, 
E dels bels motz amoros queus aug dir 
Cascus val mays que saphirs ni turqueza. 
L'amor qu'eus ay rubis, dona corteza. 
Crexer no pot ni mendre nos vol far, 
Per que vos prech la vuylatz pagelar. 
Car yeu say be que ges no s'es remeza. 

 Canso, pel mon Vay segur. que repreza 
Per home nat no seras, ço m’albir, 
Si d'Amor vol los dretgz camis tenir 
Ni si be l'art ha de trobar apreza. 

 Oooooooooooooooooo

 Amour car je vois que vous ferez oeuvre pie, car j’ai conscience 
que ce sera droit et merci, car vous me faites aimer la plus belle 
créature qui jamais naquit, ô Dame Sans-pareille-en-beauté, je vous 
crie merci et vous ferez grande franchise, puisque vous me la faites 
tant vouloir et désirer, en lui faisant écouter mes prières, car je veux 
lui dire comme je l'aime d'amour courtois. 

 Dame gentille, pleine d'humililé, pure d'orgueil, accomplisse-
ment de tous biens, chambre d'honneur où prix s'est logé. digne
d’être aimée, gaie fleur d'honnêteté, je vous fais savoir, fleur de
grande gentillesse, qu’Amour me fait composer gaie chanson
avec laquelle je veux faire savoir sans mentir aux fins amants quelle
est votre noblesse.

 Amour, je vous prie, puisque vous me faites souffrir à
cause de celle qui claire source de beautés, si votre pouvoir n'est
pas brisé, ce pouvoir qui d'habitude est plus fort que bitume, faites
qu'elle m’aime, si vous le voulez bien, comme vous me la faites
aimer ; je ne puis croire, Amour, que vous y réussissiez, mais
j'aurais grand plaisir à vous voir intervenir.

 Esclave de gracieux métiers, enseignement de bonnes cou-
tumes, source vive de belles actions, demeure de bel entretien
et de toutes bonnes qualités ensemble, lumière de loyauté, ma
volonté est à vous si soumise que par devoir je vous veux toujours
servir, et je prie Dieu qu'il ne me laisse entrainer à aucun acte
dont vous puissiez être reprise.

 Amour. mon coeur s'en est allé rester avec celle que j'aime
plus que frère ou soeur, et puisque mes yeux veulent à tout prix
aller et demeurer avec ses plaisantes beautés, priez-la donc, Amour,
et persuadez-la que, puisqu'elle a le cœur, elle me veuille laisser un
de mes yeux qui vont rester avec elle, et qu'elle me pardonne si je
dis quelque sottise.

 Fontaine de valeur et de toute beauté, envie d’yeux. joie et
plaisir de cœur, fleuve de fin prix qui ne tarit ni ne meurt, conso-
lation des fins amants, le jour où je vous vois, je gagne telle richesse
qu'ensuite, de toute l'année, rien de mal ne peut venir, et des
beaux mots amoureux que je vous entends dire, chacun vaut plus
que saphir ni turquoise.
L'amour que j’ai pour vous rubis, dame courtoise, ne peut
croitre ni ne veut diminuer: aussi je vous prie que vous veuillez le
mesurer, car je sais bien qu'il ne s’est pas relâché.

 Chanson, va par le monde en sûreté, car tu ne seras reprise
Par homme né, j'en suis certain, s'il veut suivre les droits chemins
l'Amour et s'il a bien appris l'art de trouver.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
On note le « trobar » dans la dernière strophe, racine de « troubadour ».

Dix ou onze syllabes par vers, impossible à déterminer pour moi, c'est selon la prononciation. 

Certaines rimes sont très amusantes, qu'on essaye un peu en français moderne de faire rimer en -otz.

Réutilisation de « dotz » pour la rime.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
8. Lundi 08/08 Guillaume de Machaut (1300-1377)
Un des poètes majeurs du XIVe siècle et faisant partie du mouvement musicomedieval « l'art nouveau », ars nova : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]



J'AIN LA FLOUR


J'ain la flour
De valour
Sans folour
Et l'aour
Nuit et jour
Par savour;
Car d'atour,
De colour,
De douçour
Et d'odour
A l'onnour,
Ne millour
N'est de li; pour ce en langour
Vueil bien morir pour s'amour.

Quant j'esgart
Son regart,
Que Diex gart,
Par son art
Mon cuer art
Tempre et tart,
Et d'un dart
Qui n'en part
Me repart.
Lors à part
Me depart,
Mais regart
N'ai que j'aie en joie part;
Dont li cuers me fent et part.

Ce fait Amours qui m'a conduit
Par un conduit,
Aussi com duit
De tout deduit
Faire. Or si duit
Mon cuer qu'en riens ne se deduit;
Car, sans repentir, jour et nuit
Elle me nuit
Et fait anuit,
Et si me cuit
Que, pour voir, cuit
Qu'elle sans cause me destruit.

Car la mort vient à moy le cours,
Ne nul recours
N'ay, ne secours
En mes langours
De mes tristours
Ne puis trouver envers Amours;
Dont mes dolereuses dolours,
Pleinnes de plours,
En sont tous jours
Assez grignours
En meins destours.
Et tous ces maus me fait paours.

Car, pour doubte d'escondire,
Je n'os à ma dame dire
Comment je vif à martire
Pour s'amour,
Pour ce que, s'elle desdire
M'en voloit ou contredire,
Certes, mes cuers morroit d'ire
Sans demour.

Nompourquant de cuer et d'ame,
Com ma souverainne dame,
L'amerai, sans penser blame
Ne folour,
Ja soit ce qu'elle m'enflame
Le cuer d'amoureuse flame
Et qu'en sa prison l'affame
Nuit et jour.

Mais se je puis, quant le verray,
Je li diray
Quel mal je tray.
Las! non feray,
Eins me tairay;
S'esploiteray
Qu'elle sache seürement
Que pour li durement m'esmay
Et qu'en esmay
Suit et seray,
Dont je n'aray
Jamais cuer gay,
Einsois morray
Pour li que j'aim tres loyaument.

Et s'en sa grace puis manoir,
Sache de voir
Qu'à mon pouoir,
Sans decevoir,
D'umble voloir
Et main et soir
Feray son dous commandement;
Car, se loyaument, en espoir,
La serf, j'espoir
Que bien savoir
Ou parcevoir
Porra qu'avoir
Bien ne valoir
Ne puis sans son aligement.

Amours, tu sces moult bien que siens
Sui et tous tiens.
Or me detiens
En ses lijens
Et ne vues qu'elle en sache riens,
Ne ne vues aussi que nuls biens
Puist estre miens.
Einsi me tiens
Par tes engiens:
S'en muir, quant piteus n'en deviens.

Comment qu'elle ait, et je l'ottroy,
Le cuer de moy,
Dou grief anoy
Que je reçoy
Ne doy riens demander qu'à toy;
Car quant son dous viaire voy
Et je li doy
Dire qu'en foy
L'aim, en tel ploy
Me mes que parler n'os à soy.

Dont moult durement m'aïr
Et profondement souspir,
Quant longuement à loisir
La tres grant biauté remir
De sa face coulourée
Et je ne li os jehir
Nullement ne descouvrir
Comment y m'estuet languir
Et en languissant morir
Pour li qu'ai tant desirée.

Las! au meins s'elle sceüst
Ma dolour et congneüst,
Certes, petit me neüst
En moult alegié m'eüst
Ma dolente destinée,
N'en rien ne me despleüst
Ma mort, s'elle li pleüst,
Einsois mes cuers en eüst
Grant joie, puis qu'il peüst
Obeir à sa pensée.

Mais l'ardour,
Qui mon plour
Fait gringnour
Par rigour,
Ma vigour
Fait mensour.
Las! s'en plour
En destour
Sans sejour
Et m'atour
En tel tour
Que retour
N'espoir de mort, par paour
Que termine ma dolour.

Las! aimy,
S'en gemy
Et fremy,
Quant de li
N'ay de mi
Nom d'ami
Et qu'en my
Part par me
Mes cuers qui
L'a servi,
Et je aussi,
Que mar vi
Se biauté, muir sans merci.
Dont humblement la merci.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
9. Mardi 09/08 Eustache DESCHAMPS (1340-1404)
Disciple de Machaut, poursuit et développe ce qu'a fondé son maître et à la mort duquel il écrit une complainte.


ADIEUX À PARIS


Adieu m'amour, adieu douces fillettes,
Adieu
Grand
Pont, haies, estuves, bains,
Adieu pourpoins, chauces, vestures nettes,
Adieu harnois tant clouez comme plains,
Adieu molz liz, broderie et beaus seins
Adieu dances, adieu qui les hantez,
Adieu connins, perdriz que je reclaims,
Adieu
Paris, adieu petiz pastez.

Adieu chapeaulx faiz de toutes flourettes,
Adieu bons vins, ypocras, doulz compains,
Adieu poisson de mer, d'eaues doucettes.
Adieu moustiers ou l'en voit les doulz sains
Dont pluseurs sont maintefoiz chapellains.
Adieu déduit et dames qui chantez !
En
Languedoc m'en vois comme contrains :
Adieu
Paris, adieu petiz pastez.

Adieu, je suis desor surespinettes
Car arrebours versera mes estrains,
Je pourrai bien perdre mes amourettes
S'amour change pour estre trop loingtains.
Crotez seray, dessirez et dessains,

Car li pais est détruit et gastez.

Si dirai lors pour reconfort au mains :

Adieu
Paris, adieu petiz pastez !

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Aaah ! Grand Merci, Ma Dame, de nous avoir sortis dignement du temps trobador ! palliant ainsi à la Honteuse défaillance... défection... que dis-je ! déserti-on ! de vostre servitor indigne, ce maillon foible d'une chaisne qui n'estoit point censée s'interrompre... JAMAIS !
Voici enfin le Quattrocento et ses merveilles ! qui inaugure l'ère des Grands !
Me permettrez-vous, Mesdames, pour me rattraper en partie, en petite partie seulement, de vous présenter demain un grand classique médiéval, avec son auteur, le Grand Duc ?

Dernière édition par DédéModé le Mer 10 Aoû - 8:00, édité 1 fois

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Si Dame Jehanne donne son accord, je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous présentiez. Mais pour vous rattraper, je propose que vous fassiez deux fois de suite.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Ça me va :-)

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Aaah ! voilà qui me sied particulièrement ! Merci Madame La Taulière !

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
10. Mercredi 10/08 - CHARLES Ier D'ORLÉANS (1394-1465)

CHANSON LXXXII

Yver, vous n'estes qu'un villain,
Esté est plaisant et gentil,
En tesmoing de May et d'Avril
Qui l'acompaignent soir et main.

Esté revest champs, bois et fleurs,
De sa livree de verdure
Et de maintes autres couleurs,
Par l'ordonnance de Nature.

Mais vous, Yver, trop estes plain
De neige, vent, pluye et grezil;
On vous deust bannir en exil.
Sans point flater, je parle plain,
Yver, vous n'estes qu'un villain.

****************************

RONDEAU LXIII

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s'est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie:
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d'argent d'orfaverie;
Chascun s'abille de nouveau:
Le temps a laissié son manteau.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
11. Jeudi 11/08 - François VILLON (1431-?[après 1463])

LAY OU PLUSTOST RONDEAU

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maistresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie,
Se tu ne me tiens en langueur.
Onc puis n'euz force ne vigueur;
Mais que te nuysoit-elle en vie,
Mort?

Deux estions, et n'avions qu'ung cueur;
S'il est mort, force est que devie,
Voire, ou que je vive sans vie,
Comme les images, par cueur,
Mort!

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Dame Jehanne ! c'est à vous...

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Ah mince ! Je pensais que c'était Salima. (Penser ne suffit pas ! Me disait un de mes anciens chefs :-) je m'y colle dès que possible.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
Je propose une fatrasie de Baudet Herenc (né au commencement du XVè siècle).
je n'ai pas saisi l'emploi de "tenait" dans l'avant-dernier vers.
 
La chose va très mal
Où point n’a de justice
 
La chose va très mal,
Dit un veau de métal
Au front d’une génisse,
Qui en un orinal
Boufa un cardinal,
Qui faisait sacrifice
De l’oeil d’une écrevisse
En un four de cristal,
Pour ce que sa pelisse
Tenait état royal
Où n’a point de justice.

descriptionPOËSIE DU JOUR EmptyRe: POËSIE DU JOUR

more_horiz
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
power_settings_newSe connecter pour répondre