Le blues de la Liberté

Depuis l'temps qu'elle impose au monde sa stature,
Combien de tyrannies, combien de dictatures !
Alors, un soir de blues, elle a dit ça, j'vous jure :

Il est beau,
Mon flambeau,
On dit qu'il éclair' le monde.
Baptisée
Liberté,
J'éblouis comm' la Joconde.
C'est la gloire,
Mais la star,
La déess' monumentale,
Le symbole,
Se désole,
Perché sur son piédestal.

Bartholdi,
Moi j'te l'dis,
Si t'as bossé comme un chef,
Ta statue
Qu'on salue,
Ell' vaut vraiment pas bézef.
C'est la miss
De service
Et qui pos' pour la photo,
La grossium
En péplum
Qui fait rir' tous les fachos.

On m'a parlé d'un Colosse
Qui dominait l'port de Rhodes.
Paraît qu'un tremblement d'terre
L'a balancé à la mer.
Tous ceux qui plient sous la crosse,
Quand la peur dicte son code,
Ça m'fait trop mal d'y penser :
J'ai envie d'un raz d'marée !

Il est beau,
Mon flambeau,
Et ça fait bien dans l'décor.
J'ai d'l'allure,
Plantée sur
Ma p'tite île au coin du port.
Mais crois-moi,
Mon papa,
J'suis qu'un pauvre tas d'ferraille
Dans c'pays
Qui vendit
Les esclav's comm' du bétail.

On m'a parlé d'un marrant 
Qui fringuait les monuments.
Paraît qu'il s'app'lait Christo,
Et certains l'disaient barjo.
J'voudrais bien qu'un mec comm' lui,
Qu'il soit fumiste ou génie,
Vienn' me planquer sous un drap :
J'ai la hont', j'veux plus qu'on m'voie !

Il est beau,
Mon flambeau,
J'aim'rais qu'il éclair' le monde,
Mais j'te l'dis,
Bartholdi,
Contre les démons qui grondent,
Ta statue
Pès' pas plus
Que la p'tit' colombe blanche,
La princesse
En détresse
Et qui tremble sur sa branche.