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NOUVELLE : Trop-plein

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07042022
NOUVELLE : Trop-plein

« Je vous le dis... mais ne le répétez à personne... »
Ah non ! Voilà que ça me reprend ! Ça doit être les rhumatismes qui me travaillent pour que ça recommence à me réveiller. Merde ! Oh pardon, Seigneur. Oh et puis, zut ! je peux bien jurer maintenant si je veux. Non mais quand même...
 
Honteux et à présent tout à fait réveillé, Thierry se lève pour aller aux toilettes. Il se recouche mais c’est foutu. Il ne trouvera plus le sommeil. Il s’habille en bougonnant et sort au jardin.
 
Pourquoi ils reviennent en force gâcher mes nuits ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Je leur ai pas assez donné de mon temps et de ma personne ? C’est fini. Je suis à la retraite. J’embête personne. J’ai mon potager, mes pommiers, mes chats et mes poules. Je vais lire le journal au bistro et je prends un verre de vin à l’apéro. Jamais un de plus. Je suis souriant avec tout le monde. Mince, Seigneur, c’est pas parce que je jure de temps en temps que je mérite ça, non ?
 
Le Seigneur ne daigne pas lui répondre. Thierry ne s’en émeut pas. Il a l’habitude. En quarante ans de métier, ce sont les paroles de ses paroissiens qui sont venues à bout de sa patience, pas celles du patron comme il l’appelle affectueusement et surtout très secrètement. C’est son petit péché à lui, celui qu’il ne confessera à personne. S’il a arrêté d’officier le jour de ses 65 ans, c’est à cause d’eux. Il n’en pouvait plus, le pauvre.
 
Ah ! si au moins j’en avais eu quelques uns qui m’avaient raconté des choses intéressantes. Je ne demandais même pas du croustillant, je n’ai jamais été porté sur la chose. Au contraire, ils m’auraient certainement gêné. Non, je demandais juste un peu de substance. Un rien de plus que de l’envie mesquine, de la jalousie grossière, de la dénonciation dissimulée, des vacheries gratuites. Les gens s’imaginent que je pourrais écrire un livre avec toutes les histoires qu’on m’a racontées. Tu parles ! Qui ça intéresserait ?
Il fallait les entendre chuchoter leurs inanités comme s’ils craignaient que quelqu’un d’autre les entendent. Ils ont toujours eu plus peur des voisins que de toi, patron. Ah Seigneur, j’espère que tu n’écoutais pas quand ils me disaient qu’ils avaient fait exprès de se soulager dans les fleurs d’untel ou qu’ils savaient qui trompait qui avec qui mais que, de ça, ils ne m’en parleraient pas parce qu’ils n’étaient pas comme ça, eux. Et ça s’épiait aux fenêtres, et ça vérifiait la hauteur des haies, et ça jetait des ordures dans les champs. De tous, je préférais amplement les enfants qui se trituraient les méninges pour trouver quelque chose à me dire et qui m’avouaient qu’ils avaient mangé des bonbons en cachette. Mais c’étaient surtout les vieux qui venaient...
Ils me prenaient pour une cruche ! Tous ! Est-ce qu’ils croyaient que j’étais assez con pour ne pas voir qu’ils m’enfumaient avec leurs bricoles ? Oh, je savais bien que tout était vrai. Ils n’inventaient rien. Ils me cachaient juste le principal. Leurs vraies pensées mauvaises, leur impiété, leur incapacité d’aimer. Toute leur saleté. De ça, il n’en était jamais question. Et moi non plus, je n’arrivais plus à les aimer. J’en suis même venu à espérer que quelqu’un commette un meurtre ! Ça aurait fait d’une pierre deux coups : une bonne histoire et un crétin en moins ! Si c’est pas malheureux de se mettre des trucs pareils dans la caboche... Quelle honte...
Allez, j’ai bien fait d’arrêter ce boulot. Faut pas m’en vouloir, patron, j’aurais fini par craquer si j’avais continué. Peut-être même que je m’en serais pris à vous... Maintenant au moins, je suis peinard, j’ai retrouvé mon calme. J’ai plus à me fader leurs histoires et je me sens mieux ; je me sens même rajeuni. Ah mais, j’y pense, ça va faire un an la semaine prochaine que je suis parti à la retraite, c’est peut-être pour ça que ça me tracasse ! Je dois être en train de vivre une sorte de purge. Peut-être que j’évacue enfin leurs secrets !

Thierry Lazert et Ninn' A aiment ce message

Commentaires

Salima Salam
Intéressante alternance des perspectives, un paragraphe 1ere personne, un paragraphe à la 3eme personne avec le narrateur omniscient. 
Petite plongée dans le tréfonds des âmes ? Celle du curé d'un rang supérieure à celle de ses ouailles, mais avec des parallèles. 
Une bonne dose de dérision, mais sans méchancetés. Je me demande si les bons paroissiens d'antan ne sont pas devenus les bons piliers de forum, où ils crachent leurs petites haines, accusations vraies ou fausses, où ils laissent parler leurs frustrations.
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Salima Salam a écrit:
Je me demande si les bons paroissiens d'antan ne sont pas devenus les bons piliers de forum, où ils crachent leurs petites haines, accusations vraies ou fausses, où ils laissent parler leurs frustrations.

En effet, l'anonymat et le secret peuvent être les vecteurs des mêmes désagréments. (Pas sûre que cette phrase soit bien construite... ;-))
Ninn' A
purge/évacue m'a fait sourire. intéressant toutes ces pensées et réflexions dans la caboche d'un ancien curé qui en était arrivé à ne plus aimer le gens. il a bien fait de prendre sa retraite :-)

Norsk aime ce message

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